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Non(s) de Magali Mougel (c) David Cauquil image 3
© David Cauquil

♥ [Critique] “Non(s)” de Magali Mougel : Une sublime émotion

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:31 pm

Création originale du temps fort Mauvais Genre de Les Scènes du Jura, Non(s), écrit et mis en scène par Magali Mougel, est un spectacle qui nous a ébranlé, bouleversé, chamboulé. C’est un coup de cœur qui a fait battre celui de Bulles de Culture plus vite, plus fort. Notre avis.

Synopsis :

Non(s), c’est l’histoire de rencontres. Pendant des semaines, Magali Mougel a rencontré des femmes venues lui raconter l’histoire d’un « non » de leur vie. À partir de ces témoignages, Magali Mougel a imaginé un texte : un jeune homme qui interroge sa mère, sa collègue de travail, une mère qui reprend sa fille, une miss, une mère de famille, une femme au foyer. Autant d’histoires de non. Un trio de comédien-ne-s pour incarner ces personnages : Clément Bertani, Leïla Brahimi et Sylvie Jobert.

Les contours d’une génération flouée

Est-ce courageux, audacieux, facile, osé de dire non à celle qui nous a élevé-e ? Non, je ne veux pas me tenir droite. Non je ne cuisine pas comme mamie. Nous grandissons plutôt en pliant : oui, je vais me changer. Ou en réagissant comme le font les enfants, à coup de petites résistances qui jouent la provocation. Est-il possible de dire non quand on dit oui à la consommation, au consumérisme, à l’aliénation de tous ces objets dont on dépend : ordinateur, smartphone ? Est-il possible de dire non quand on s’attache aux réseaux sociaux ?

Le débat que Non(s) ouvre à propos de cette contrainte qui nous enferme est pertinent, et pertinemment générationnel. Car que répond-on à la génération qui a fait 68 ? À celle qui a connu la guerre ? Magali Mougel s’empare de ce conflit de générations autour des choix de réorganisation de nos vies. Non, la nouvelle génération ne s’accroche pas à un métier qui lui pèse ; non, elle ne passe pas des heures à la cuisine ; oui, son engagement peut sembler vain parce qu’il ne renverse rien, parce qu’il se fait dans le confort. Est-ce pour autant lâcheté ? Non(s) montre bien que la pression qui s’exerce sur nous pour que l’on soit « ce qu’il faut » est immense, et le duo mère-fils incarné par Sylvie Jobert et Clément Bertani l’illustre à merveille.

Les Non(s) choix

Non(s) de Magali Mougel image 2
© David Cauquil

Aussi, la société attend de nous, exige de nous sans cesse. Que répond-on à sa mère quand elle explique que l’on est trop fine bouche dans le choix d’un compagnon ? Que répond-on à sa mère quand elle explique qu’une première fois est faite d’un silence obéissant ? D’une passivité consentante ?

Magali Mougel montre ainsi que les carcans qui nous enferment ne sont pas toujours tangibles, dicibles, perceptibles, mais bien plus souvent ceux que l’on s’est fixés, ceux auxquels on s’est habitué à consentir. Et le burlesque qu’elle choisit pour le mettre en scène fonctionne parfaitement dans l’humour qu’il apporte. La dérision est toujours une arme efficace, quand il s’agit de dénoncer. Et donner à Clément Bertani une partie des rôles féminins, notamment d’une fillette impertinente, est d’une réussite absolue dans la réflexion que Non(s) apporte sur le genre.

Non(s) : Tout sauf une évidence

Non(s) met aussi plus gravement sur le devant de la scène les petits renoncements aux grandes conséquences, les nons que l’on n’a pas su dire assez fort, ceux que l’on a eu peine à se dire à soi-même. En cela, le texte de Magali Mougel est d’une humanité splendide, d’une finesse sensible et admirable, d’une générosité resplendissante. Car bien sûr qu’en théorie, nous voulons dire non, non à une aliénation sexuelle quelle qu’elle soit, non à la violence de certains comportements sexuels, affectifs, conjugaux, non aux violences physiques, non au chantage affectif, non aux insultes, non à la maternité parfois. Bien sûr que personne ne souhaite être enfermée dans sa cuisine à subir les coups, qu’ils soient verbaux ou physiques. Bien sûr qu’il faudrait dire non. Qu’il faut dire non.

Mais le manuel existe-t-il ? Qui nous dise quoi faire quand le non qu’on a dit du bout des lèvres n’est pas entendu, pas respecté ? Quand on a honte parce qu’aux yeux de tous, on passe pour une mauvaise mère parce que l’on ne parvient pas à rassurer son enfant ? Quand après avoir vu les meubles cassés à coups de poing, ce sont les os qui sont brisés ? Quand chaque soir doit voir la litanie longue et insultante des manquements dont on fait preuve ? Que fait le féminisme pour ces oubliées, ces souffrantes, ces agonisantes ?

Loin d’un propos féministe simpliste, Non(s) rappelle que dire un non ferme et clair auquel rien ne s’opposera est un confort, l’apanage de celles qui ont l’âme guerrière, “guerillères”, dirait Magali Mougel, la conviction absolue, assez d’estime d’elle-même pour ne pas s’enfermer dans la spirale sans fond de la violence physique et verbale qu’on leur assène. Non(s) nous ramène à ce constat que l’on entend encore et toujours et qui tue ces femmes qui souffrent : « si elle est restée, c’est qu’elle l’a voulu » ou « si c’est arrivé, c’est sûrement un peu de sa faute ». Culpabilisation obscène.

Des Non(s) qui se perdent mais qui comptent

Non(s) de Magali Mougel image 1
© David Cauquil

Quand le talent de Magali Mougel à produire des monologues bouleversants rencontre le talent de Sylvie Jobert, l’émotion vous prend à la gorge, aux tripes, vous remplit les yeux de larmes, et vous submerge tant qu’elle ne vous quitte pas pendant les heures qui suivent. Parce que oui, ces récits sont des histoires vraies. Nos histoires. Vos histoires. Tant de femmes qui nous entourent.

Parce que oui, nous connaissons toutes ces femmes qu’un homme, des hommes ont abimées, celles qui ont senti leur corps devenir objet, instrument de l’assouvissement des fantasmes de l’autre, substance vile et insignifiante qui permet d’être recousue sans soin après un accouchement, occasion de défoulement, simple déversoir. Nous connaissons toutes celle que les coups ont presque tuée, celle que la maternité a brisée, celle que les mots ont creusée, et celle, forte et belle, qui a su dire non.

Parce que oui, toutes, nous renonçons parfois, malgré nos convictions, malgré nos idéaux, malgré l’envie de ne pas faire les erreurs de nos mères, de nos grand-mères, de nos tantes, de nos amies. Parce que oui, toutes nous renonçons parfois au non qu’on voudrait dire, au non que l’on murmure et qui n’est pas entendu. Toutes nous voulons nous dire « pas moi », et toutes nous en venons à dire « je ne pensais pas que, moi aussi, je pouvais… ». Parce qu’apprendre à dire non n’est qu’un pas, que le second consiste à apprendre à l’autre à l’entendre, le comprendre, le respecter. Et que pour cela, le chemin est encore long.

Non(s) vous donnera envie d’appeler votre mère, votre grand-mère, vos tantes, votre sœur, vos amies, pour demander. Pour mener la même enquête que Magali Mougel. Pour mener l’enquête du « à quel signe je reconnais que… », du « et toi, tu crois que… », « et toi, ça t’est déjà arrivé de… », « tu crois que je devrais… ». Parce qu’il serait (enfin) temps que les langues se délient, que les tabous et les jugements cessent, et que tou-te-s nous avancions ensemble.

Spectacle coup de cœur de Bulles de Culture, Non(s) est un spectacle audacieux et renversant qui devrait passer partout, être vu par tous et toutes, hommes et femmes, pour que demain soit l’assurance de n’être plus hier, plus jamais hier, plus jamais rien d’autre qu’une nouvelle ère, pleine d’égalité et de possibles. Parce que Non(s) n’est pas un manifeste féministe qui ferait dire à d’autres – masculins souvent – que c’est bon, l’égalité, aujourd’hui, c’est fait, qu’il ne faut pas en faire un drame. Non(s) n’est pas véhément de revendications, juste criant, hurlant de vérité. D’une vérité qu’on ne veut pas voir peut-être. Mais qui mérite d’être entendue. Qui doit l’être. Largement entendue. Enfin entendue. Une belle et complexe vérité.

BRAVO !

https://twitter.com/bullesdeculture/status/981889387100344320

En savoir plus :

  • Non(s) a été joué à Les Scènes du Jura les 5 et 6 avril 2018
  • Durée du spectacle : 1h30
Morgane P.

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