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© Philippe LEROUX - FTV

[Critique & Interviews] “Prêtes à tout” (2017) avec Anne Charrier et Alika Del Sol

Dernière mise à jour : août 6th, 2019 at 11:27 pm

Un téléfilm sociétal fort ce mercredi 14 mars 2018 sur France 2. En effet, les comédiennes Anne Charrier et Alika Del Sol y interprètent deux mères de famille prêtes à tout pour sauver leurs fils pris dans le terrible engrenage de la drogue. L’avis de Bulles de Culture sur le drame Prêtes à tout de Thierry Petit et notre interview de l’équipe.

Synopsis :

Aline Berthou (Anne Charrier) et Nadia Daoudi (Alika Del Sol) sont deux femmes françaises et pourtant étrangères l’une à l’autre. Leurs univers sont étanches, et tout les sépare : leurs origines, leur classe sociale, leurs convictions et leur mode de vie. Face à la drogue, elles sont pourtant brutalement confrontées au même défi : sauver leurs fils de la prison, puis de la mort… Seul point commun entre elles : l’amour maternel, qui va les conduire à remettre leurs préjugés en question et s’allier jusqu’à former un duo complice et… prêt à tout.

Prêtes à tout : L’engrenage de la drogue

Moi, j’ai essayé tout au long du film de travailler sur un rapport formel avec la cité pour que ce soit un lieu malgré tout esthétiquement beau. C’est un endroit où les gens vivent, qu’il faut respecter parce que c’est le quotidien. (…) Donc même si je voulais rester juste sur le côté documentaire et sur ce qu’il s’y passait, je ne voulais pas filmé crûment. Je ne voulais pas stigmatiser mais c’est la réalité de toutes les grandes villes, la banlieue, c’est là où se passe tous les business et où il y a beaucoup de zones de non-droit.
— Thierry Petit

C’est la scénariste Lorène Delannoy qui est à l’origine du téléfilm Prêtes à tout, cette implacable plongée au cœur des cités à travers le regard de deux mères que tout oppose mais que la vie menacée de leurs fils par de dangereux dealers va obliger de se rapprocher et de faire front commun face à une terrible adversité. “C’est un projet qui m’est venu à l’esprit, nous a expliqué Lorène Delannoy, quand il y a eu les problèmes de règlements de compte dans les quartiers Nord de Marseille et les manifestations de mères dans les cités qui réclamaient que les pouvoirs publics interviennent — en vain, d’ailleurs — parce qu’il y avait des mômes qui recevaient des balles perdus. Je me suis documentée via La Marseillaise et un journaliste qui a fait un énorme et excellent travail sur le quotidien de la cité (les dealers, etc.) et qui a reçu le Prix Albert Londres [NDLR : Il s’agit de la série d’articles Quartiers shit du journaliste Philippe Pujol qui a été récompensée du Prix Albert Londres en 2014]. Et après, je me suis inspiré d’anecdotes réelles autour de moi. Puis le projet a intéressé la productrice Delphine Wautier et puis la scénariste Laure de Colbert m’a rejointe pour apporter toute la part tragique du scénario. Et le documentariste Pierre Tonachella qui a supervisé, grâce à son expérience de jeune et de la cité, qu’il n’y ait pas trop de bêtises dans le scénario. Il fallait en effet avoir aussi le regard d’un jeune qui ait du vécu”.

Et l’intelligence des auteurs et du réalisateur Thierry Petit ainsi que la force de la fiction Prêtes à tout, récompensée par deux prix au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2017, est de confronter deux milieux qui s’ignorent à la réalité quotidienne de ces zones de non-droits, et ce sans porter un énième regard stigmatisant sur les banlieues. Car la violence de l’un et l’hypocrisie de l’autre sont mis sur un même plan.

Anne Charrier et Alika Del Sol : Deux femmes fortes prises dans la tourmente

C’est vraiment l’idée de départ, deux mères qui sont concernées par la même chose et qui vivent des situations totalement symétriques — elles sont seules et ont les mêmes problèmes de l’adolescence alors qu’elles ne sont pas du même milieu — sauf qu’une est concernée en amont et l’autre plus tard. Cette violence, elle la subissent toutes les deux alors qu’en fait, il n’y en a qu’une qui la subit dans la vie de tous les jours car la violence est du côté des cités. Et l’idée était de faire que les deux mère se retrouvent concernées et solidaires devant la même tragédie.
— Lorène Delannoy

Le téléfilm Prêtes à tout dessine le portrait de deux mères de familles de milieux sociaux différents mais qui ont le point commun d’avoir des maris absents (pour diverses raisons) et deux enfants de quinze ans en pleine crise d’adolescence. Romain (Jules Houplain) est un fils insupportable qui essaie de s’affirmer dans sa famille bourgeoise tandis que Samir (Abderahmane Cherif) vit dans une cité où les perspectives d’avenir sont minces. Et pour les sauver tous les deux de la spirale infernale dans laquelle ils se sont laissés entraîner, il y a deux femmes fortes, jouées par les comédiennes Anne Charrier et Alika del Sol qui offrent toutes les deux d’excellentes prestations de ces deux mères prises dans la tourmente.

Le personnage d'Aline Berthou

Prix de la Meilleure interprétation féminine au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2017, l’actrice Anne Charrier campe la mère de famille bourgeoise qui va voir sa vie parfaite basculer du jour au lendemain et qui va devoir ouvrir les yeux sur un univers qu’elle ne connaît pas pour pouvoir aider son fils.
Thierry Petit : “De par son parcours, le personnage d’Aline Berthou est issu d’un milieu bourgeois, aisé, à qui tout sourit. Elle a une maison et un mari qui bosse énormément certes mais qui est dans une vocation de sauver la vie d’enfants. Donc il y a une sorte d’accord familial pour permettre à ce père d’aller jusqu’au bout de son métier parce que c’est quelque chose de formidable et que cela a du sens, même si c’est compliqué à vivre au quotidien. Il y a une sorte d’équilibre général dans cette famille et Anne Charrier incarne parfaitement ce confort, cette harmonie, cette bourgeoise posée et installée. Et quand on connaît son talent, on sait qu’on va pouvoir aller très loin dans la tragédie et la voir à la fin pratiquement sans maquillage, sans rien car elle est décalquée physiquement. Plus on part de haut, plus on peut descendre bas et cette trajectoire est intéressante et c’est ce qu’Anne Charrier offre à ce niveau-là”.

Le personnage de Nadia Daoudi

La comédienne Alika del Sol interprète la mère de famille qui vit dans une cité mais rêve d’en sortir. Et alors qu’elle pensait pouvoir protéger son enfant de l’influence néfaste de celle-ci, elle va se rendre compte que c’est peut-être déjà trop tard.
Thierry Petit :
“Alika del Sol a un parcours moins connu du grand public mais c’est quelqu’un qui amène une puissance, une justesse à cette femme de caractère qui vit seule dans la cité et qui est capable de tenir le siège et de résister. Elle n’a pas peur de parler aux dealers, elle n’a peur de personne, même si c’est une façon de se protéger car dans son for intérieur, elle les craint. Mais elle se bat. Elle vit seule avec son fils. Elle n’a pas de mari, pas de famille car cette dernière l’a rejetée. Donc c’est une guerrière. Et on a l’association de ces deux caractères et ce qui est intéressant, c’est que c’est presque un truc qui s’inverse, c’est-à-dire qu’à un moment donné, c’est la guerrière qui est la plus réfléchie et la plus sensée des deux mères, celle qui percute vraiment alors que la mère bourgeoise est encore en train de ‘planer’. Les femmes qui vivent dans ce genre d’endroits sont ancrées au réel alors que le milieu bourgeois en est très loin. Alors le personnage d’Alika del Sol sait que c’est grave et qu’il y a danger alors que l’autre en est encore très loin, elle est dans le déni”.

Un téléfilm intense et sombre

C’est un peu Thelma et Louise qui ne se seraient pas foutus en l’air et qui se seraient occupés de leurs gamins.
— Laure de Colbert

Tourné pendant 21 jours dans la région Ile-de-France, notamment dans la banlieue sud pour le skatepark et dans le 93 pour la cité où vit Nadia et son fils, l’unitaire fiction Prêtes à tout confronte le destin entremêlé et tragique de ces deux mères de famille au jugement de la Justice, à travers le regard d’un juge d’instruction (Nicolas Grandhomme). “C’est une tragédie, comme si c’était écrit d’avance, nous a confié Lorène Delannoy. Il ne suffit pas de grand chose et il y a un engrenage. Et ce qui est intéressant dans les allers-retours avec le juge, c’est ce regard de la Justice qui commence un peu à s’infléchir. Enfin, il faut espérer que ça porte ses fruits. Ça aurait été différent si cela avait eu lieu dans un commissariat, là, c’est face à un juge d’instruction”.

De même, récompensé du Prix Nouvelle-Aquitaine des lecteurs de Sud-Ouest au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2017, la fiction Prêtes à tout soulève également le problème du trafic de drogue dans la cité, en montrant à la fois ceux qui vendent (les gens de la cité) et ceux qui achètent (les clients bourgeois). “La question que pose ce téléfilm est la dépénalisation, nous a ainsi expliqué le réalisateur Thierry Petit. Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela entraîne ? Comment la société doit prendre le relais si un jour, on dépénalise ? Il va falloir forcément que dans les cités, il y ait de l’argent qui tourne car tout le monde vit grâce à ce pognon pour acheter des fringues, des choses pour l’école, pour payer une licence de football… Cet argent profite à tout le monde dans la cité à des degrés plus ou moins forts. Le jour où on dépénalise et qu’il n’y a plus d’argent qui circule dans la cité, on fait quoi de tous ces gens ?”

Bref, interprété par deux magnifiques actrices et conclu par des séquences violentes et intenses, le téléfilm Prêtes à tout est un téléfilm intense et sombre à ne pas rater sur un sujet de société complexe. A noter que cette fiction sera suivie sur France 2 par un débat, Drogue : un échec français ?, animé par le journaliste Julian Bugier.

Propos recueillis au Festival de la Fiction TV de La Rochelle 2017 le 16 septembre.

En savoir plus  :

  • Prêtes à tout est diffusé sur France 2 le mercredi 14 mars 2018. Le téléfilm sera également diffusé en streaming live et disponible en replay sur France.tv
  • Débat Drogue : un échec français ? sur France 2 le mercredi 14 mars 2018 à 22h20
Jean-Christophe Nurbel

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