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[Critique] “Meute / Une légende” du Troupuscule Théâtre : Une pièce qui tape juste

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 02:34 pm

La compagnie Troupuscule Théâtre présente Meute / Une légende à L’Étoile du Nord Théâtre sur un texte de Caroline Stella et dans une mise en scène de Mariana Lézin, une pièce troublante et efficace. L’avis et critique théâtre de Bulles de Culture.

Synopsis :

On est à Conche, ville portuaire où le déclassement, le chômage, la misère ordinaire frappent fort. Zone désaffectée, chantier abandonné, c’est là que se retrouvent Francky (Brice Cousin), Kala (Caroline Stella), Louis (Paul Tilmont), et c’est là que les retrouve Mano (Fabien Floris) à sa sortie de prison. Mais la zone est appelée à être détruite pour bâtir « les terrasses du bout du monde », projet immobilier qui doit permettre de gentrifier l’endroit. Les jeunes gens ne l’entendent pas ainsi.

Meute / Une légende : Histoire d’une jeunesse en errance

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Ils sont jeunes, ils trompent l’ennui. Pas de travail, pas d’avenir. Les lendemains ne chantent plus depuis longtemps, et il faut bien s’occuper, tuer le temps trop long, s’inventer un monde qui rende possible l’existence. C’est cette jeunesse que Meute / Une légende attrape au vol. C’est un texte percutant que celui de Caroline Stella, cru et cruel, mais sans caricature ni raccourci. Et c’est une troupe dynamique et prometteuse qui vient donner vie à ces jeunes errants.

Les premières scènes fragmentent les personnages, les donnent à voir sans les présenter d’abord. Mais rapidement ces jeunes adultes ou grands adolescents prennent de l’épaisseur. Jeune fille anorexique en mal de père qui materne les deux garçons qui l’entourent, voilà pour Kala (Caroline Stella) ; jeune homme un peu bourru qui trompe l’ennui en taguant les rues de sa cité et fils d’une mère que le travail de nuit a transformée en étrangère, voilà pour Francky (Brice Cousin) ; jeune garçon sensible, croyant encore en ses qualités et en leur reconnaissance, rongé de colère par la mort de son père, voilà pour Louis (Paul Tilmont). Abîmés par les déceptions de leurs parents, n’ayant pas encore coupé le cordon pour autant, ces trois-là n’ont rien des animaux de meute. Nos trois comédiens rendent émouvant ce trio drôle et triste à la fois.

Ce qu’il faut pour qu’un groupe devienne meute, c’est un leader. Mano (Fabien Floris), jeune délinquant violent qui sort de prison, va jouer ce rôle-là. Trouvant la faille, la blessure de chacun, il va venir offrir aux trois acolytes la reconnaissance dont ils manquent, attiser leur colère en haine, leur faire croire qu’ils ont bien un rôle à jouer dans la guerre qu’il veut livrer à la société. Fabien Floris brille dans ce rôle de manipulateur glacial.

Meute / Une légende explore ainsi avec brio comment l’individu se  fond dans le groupe et comment un groupe en vient à une violence animale et aveugle.

La violence la plus insupportable est sociale

La voisine au chômage vient de s’immoler devant Pôle Emploi. C’est le fait divers sur lequel s’ouvre la pièce. On pourrait être chez Ken Loach, dans les bas-fonds oubliés où le dialogue social est devenu impossible. L’indifférence, ces jeunes s’y sont habitués. Mais une exclusion de plus en plus évidente se crée : l’emploi que l’on n’a pas parce que le milieu d’où l’on vient fait tache et suscite le doute ainsi que les violences sécuritaires agressives contre ceux que l’on considère comme une menace. C’est encore et enfin le fait d’être chassé d’une zone appelée à devenir un quartier de grand standing.

Meute / Une légende est construit comme une tragédie antique : nul espoir d’échapper à sa condition ; pire encore, toute tentative d’y échapper est noyée dans le sang. Cette violence-là, la mise en scène de Mariana Lézin la sublime. La scénographie est particulièrement riche. Au centre du décor, une passerelle mobile qui permet de juxtaposer des plans, de donner une profondeur à la scène. Ce dénuement du décor fait contraste avec les moments où la vidéo vient insérer la surenchère médiatique comme ingrédient supplémentaire à notre drame.

Le misérabilisme simpliste et caricatural auquel se livrent les médias est montré avec une ironie grinçante que les trouvailles de mise en scène accentuent : visages masqués de plastique, talons aiguilles, vêtements en fourrure. Un monde de paillettes et de poudre aux yeux qui vient allumer la mèche des colères sourdes. Il est à noter que Mariana Lézin est convaincante sous les traits de la journaliste agaçante et arrogante.

Une atmosphère sombre et kafkaïenne

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L’atmosphère sombre de Meute / Une légende est somme toute bien kafkaïenne et explore brillamment les rouages d’une violence sociale insoutenable. Conte noir et glaçant, amplifié par un univers sonore angoissant, Meute / Une légende force son personnage de journaliste autant que son public à voir comment l’individu lambda en arrive à commettre un acte de barbarie. Mais à l’inverse de Louis qui se crève les yeux comme un Œdipe magnifique d’actualité, ceux du public restent grand ouverts devant la responsabilité de notre société cruelle et brutale.

 

En savoir plus :

  • Meute / Une légende est joué à L’Étoile du Nord Théâtre (Paris, France) du 6 au 24 février 2018
  • Tournée en France : Théâtre Le Périscope, Nîmes, le 10 avril 2018 ; Centre culturel Jean Ferrat Cabestany, le 23 novembre 2018
  • Durée du spectacle : 1h45
  • Spectacle à partir de 14 ans
Morgane P.

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