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Photo 3 Bérénice Celie Pauthe - copyright Elisabeth Carecchio
© Elisabeth Carecchio

♥ Critique / “Bérénice” par Célie Pauthe : mélancolique et majestueuse

Dernière mise à jour : avril 5th, 2020 at 03:32 pm

Célie Pauthe a monté au Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté la Bérénice de Racine, accompagnée de Césarée, un court-métrage de Marguerite Duras. La critique et l’avis théâtre de Bulles de Culture sur ce challenge brillamment relevé. C’est un coup de cœur.

Synopsis :

Dans sa conquête de la Judée, Titus (Clément Bresson) rencontre la reine Bérénice (Mélodie Richard) dont il s’éprend. Elle l’accompagne à Rome, et, à la mort de Vespasien, attend que son aimé vienne lui annoncer qu’il l’épouse et qu’elle devient impératrice. Mais Titus tarde à venir, et c’est sous les yeux d’Antiochus (Mounir Margoum), bras droit de Titus autant qu’il est amoureux désespéré et éconduit de Bérénice, que le drame amoureux s’esquisse puis se déploie.

Bérénice, une tragédie singulière

Photo 1 Bérénice Celie Pauthe - copyright Elisabeth Carecchio
© Elisabeth Carecchio

La Bérénice de Jean Racine occupe une place particulière dans la galerie des tragédies : c’est une tragédie sans mort. Cela ne peut d’ailleurs qu’accroître sa dimension tragique, puisque les protagonistes sont condamnés à subir leur destin jusqu’à une mort lointaine. De ce fait, l’intrigue est plus profondément sentimentale – et amoureuse – que politique. Or tout est joué dès le premier acte – ou presque – dans le texte de Racine : Antiochus se déclare et est repoussé par Bérénice ; cette dernière se révèle folle amoureuse de Titus, et quand Titus apparaît au début de l’acte II, il affirme clairement choisir le pouvoir plutôt que le mariage avec Bérénice.

Ces éléments qui ouvrent la pièce sont aussi ceux qui la concluent : le huis clos sentimental qui se déroule entre ces deux extrêmes laisse une large place au ressassement du même. Aussi faut-il tenir les cinq actes, et la mise en scène de Célie Pauthe le réussit à merveille. Tout dans sa mise en scène laisse place aux nuances, aux hésitations, aux remords des personnages au fil de l’intrigue.

La part belle à la mélancolie

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La fatalité qui tisse la trame de Bérénice est tout autre que celle à laquelle la tragédie nous habitue : nul destin écrit par les dieux, aucun retournement de situation, on n’entrevoit pas les grands mouvements de l’histoire. C’est entre les hommes que l’histoire se joue, et cette vie qui doit se poursuivre malgré les souffrances est d’une mélancolie palpable. Célie Pauthe s’empare de cette dimension mélancolique pour en faire le fil conducteur de sa mise en scène. L’insertion du court-métrage de Marguerite Duras avec ses plans lents, son texte empreint de nostalgie en est l’un des apanages. L’irruption de Charles Baudelaire comme parangon de la lamentation d’Antiochus peut être un autre exemple.

Il y a dans la mise en scène de Célie Pauthe quelque chose de la décadence sentimentale et idéologique qui a inspiré Louis Aragon pour son Aurélien. Titus préfère le pouvoir à l’amour ; Bérénice refuse de donner quelque grandeur que ce soit aux sentiments d’Antiochus ; et celui-là est pris entre les deux amants qui se déchirent alors qu’il est lui-même amoureux fou de Bérénice. Ce triangle amoureux est finalement d’une criante modernité.

Bérénice : Entre classicisme et modernité

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C’est le choix de la sobriété et de la majesté qu’a fait Célie Pauthe dans sa scénographie de la pièce de théâtre Bénérice : un immense rideau blanc qui sert de support de vidéo-projection, des costumes qui maintiennent l’ambigüité entre ancien et moderne. Un salon sobre et chic, des coupes de champagne : voilà pour les mondanités. Et un sable envahissant : est-ce l’horizon d’un univers exotique ? Un océan solide prêt à engloutir les personnages ? C’est en tout cas un jeu de contraste tout à fait réussi.

Il est un château ou un fort qu’il faut prendre quand on s’attaque à Jean Racine, c’est celui de l’alexandrin. Est-il écueil ou phare ? Il est difficile de le dire, mais il est dans la Bérénice de Célie Pauthe brillamment maîtrisé. Le texte résonne fort et haut, riche de toute sa palette de sons et de sens. Ainsi, le duo maudit des deux héros porté par Clément Bresson et Mélodie Richard fonctionne à merveille. La couronne de reine de Judée répond avec éclat à celle de lauriers. Et les deux souverains ont la grandeur de leur titre. Mais s’il est un personnage qui se trouve avec Célie Pauthe magnifiquement mis en lumière, c’est celui d’Antiochus. Mounir Margoum excelle dans l’étoffe de ce troisième homme resté dans l’ombre des deux héros, grandi par un costume qu’il paraît ne pas assumer. Le choix que fait ici Célie Pauthe n’est pas anodin : c’est en ce personnage que réside toute l’inventivité de Racine, puisque c’est là la liberté que Racine prend avec l’histoire.

Il y a en outre dans ce personnage tous les germes du héros romantique, désespérément et vainement amoureux, souffrant de recueillir les confidences de ceux qui s’aiment et condamnés à les regarder faire. De quoi nous ramener sans difficulté à Charles Baudelaire, à Aurélien et à Marguerite Duras. Car n’est-ce pas la tristesse infinie et sincère de cet être amoureusement altruiste, blessé par deux orgueils égoïstes, qui rend plus profonde encore la dimension tragique du triangle amoureux ? La tristesse d’Antiochus a la noblesse de la retenue quand celle des deux héros explose et se pavane.

C’est en tout cas un beau moment que cette Bérénice toute parée de mille émaux et de mille maux. Coup de cœur de Bulles de Culture, nous en saluons la réussite.

En savoir plus :

  • Bérénice a été joué au Centre Dramatique National Besançon Franche-Comté du 24 janvier au 2 février 2018
  • Bérénice a été jouée en France du 16 au 20 mars 2018 au ThéâtredelaCité de Toulouse
  • Bérénice est joué du 11 mai au 10 juin 2018 à l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris
  • Durée du spectacle : 2h25
Morgane P.

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