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[CRITIQUES] "La Femme qui fuit" et "L'Homme qui s'envola" : Prendre ses jambes à son cou 1 image

[CRITIQUES] “La Femme qui fuit” et “L’Homme qui s’envola” : Prendre ses jambes à son cou

Pour la rentrée, Bulles de Culture vous propose la chronique croisée de La Femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette et de L’Homme qui s’envola d’Antoine Bello. Notre avis sur ces deux romans sur le thème de la fuite.

La Femme qui fuit et L’Homme qui s’envola : Escapade littéraire

Quoi de mieux que la rentrée pour s’imaginer se faire la belle, nourrir l’idée d’une fuite effrénée, d’un nouveau départ qui s’ancre dans un ailleurs, d’une remise à zéro des compteurs ? Quoi de mieux que la rentrée pour s’imaginer plaquer tous les impératifs, toutes les contraintes, faire craquer toutes les frontières qui nous enferment, qu’elles soient réelles ou mentales ? En ce mois de septembre gris et frais, où la morosité vient imprégner les semaines au même titre que l’humidité, Bulles de Culture vous invite à une double escapade littéraire sur le thème de la fuite. Au programme, La Femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette, paru éditions Marchand de feuilles en 2015 et en poche au printemps, et L’Homme qui s’envola d’Antoine Bello, paru chez Gallimard en mai 2017.

Un homme et une femme

Vous l’aurez compris, entre La Femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette et L’Homme qui s’envola d’Antoine Bello, vous avez d’une part une femme qui écrit sur une femme, de l’autre un homme qui écrit sur un homme. Et ce qui rassemble leurs auteurs et leurs héros, c’est le thème de la fuite, d’une fuite irraisonnée et frénétique, hors des carcans qui emprisonnent l’être. D’une part, Suzanne Meloche, jeune femme canadienne, venue de la campagne à Montréal où elle côtoie le cercle surréaliste, jeune épouse et jeune maman qui décide un jour de quitter enfants et mari pour suivre ses propres aspirations. De l’autre, Walker, figure emblématique de l’Amérique qui réussit, chef d’une entreprise de transport florissante, mari d’une femme magnifique et père de trois enfants. D’un côté, la fresque biographique d’Anaïs Barbeau-Lavalette sur les traces de sa grand-mère. De l’autre, l’épopée romanesque imaginée par Antoine Bello d’un homme qui met en scène sa propre mort pour échapper au destin, même illusoirement parfait, qui se dessine devant lui.

Et de part et d’autre, un besoin impérieux, celui de rompre avec le conjoint, avec les enfants qui sont nés de cette union. Un besoin impérieux qui finit par être nécessité. Une rupture. La certitude de faire de la peine, de blesser, et malgré tout le besoin absolu de partir, de quitter. Antoine Bello comme Anaïs Barbeau-Lavalette saisissent cet étrange élan de l’être à la reconquête d’une liberté, d’une soif vitale d’ailleurs, de cette césure qui surprend. La justesse de leurs mots embrasse la volonté de comprendre sans juger, ou de décrire sans comprendre. Force est de constater qu’en cela, ils réussissent à merveille.

Détective et traque

image Anaïs Barbeau-Lavalette
Anaïs Barbeau-Lavalette
© D.R.

Avec La Femme qui fuit et L’Homme qui s’envola, ce sont aussi deux enquêtes presque policières qui s’engagent. Celle d’Anaïs Barbeau-Lavalette est existentielle : décidée à suivre le sillage de cette mère mal-aimante qui a blessé sa propre mère, l’auteure engage une détective privée qui retrace le parcours de Suzanne Meloche. C’est à partir de ces éléments qu’elle nous livre ce qu’ont été les dérives d’une femme en quête d’elle-même, en proie à des angoisses inexorables qui lui font fuir tout espèce de stabilité.

Celle d’Antoine Bello est fascinante de romanesque car si le héros a pensé à tout avant de mettre en scène sa disparition, il a oublié un détail : l’assurance de son entreprise embauche un détective pour s’assurer qu’il est bien mort. Or voilà, il faut un temps record à Nick Shepherd pour s’apercevoir du subterfuge. C’est alors un bras de fer qui s’ouvre entre les deux hommes, tous deux fins tacticiens.

À la croisée des époques

Malgré la parenté que l’on peut faire entre les deux héros, La Femme qui fuit et L’Homme qui s’envola explorent en revanche des époques différentes. Anaïs Barbeau-Lavalette fait revivre les années 40, 50, 60 et 70 dans le premier. On traverse la Seconde Guerre mondiale au Canada, on explore les cercles artistiques des années 50 autour du mouvement surréaliste de l’Outre-Atlantique, on visite l’Angleterre des années 60 ou les États-Unis des années 70. On se heurte au machisme de la société, au puritanisme ambiant, à la lutte pour les droits civiques. La société que l’on côtoie est violente et sans concession. Le féminisme progresse lentement, mais pas assez vite pour que Suzanne Meloche trouve un refuge efficace. De passions en déconvenues, c’est une femme peu à peu broyée par la fuite permanente à laquelle elle s’astreint que nous découvrons.

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© Francesca Mantovani- éditions Gallimard

Le roman L’Homme qui s’envola d’Antoine Bello nous plonge quant-à-lui dans notre monde contemporain, hyper-connecté, surveillé, épié. La traque qui s’annonce entre le chasseur de tête et le fuyard est haletante. Ce qu’elle dit de notre société est en double teinte. Car la réussite sociale, la recherche du profit, la course au toujours plus éreinte. Le personnage de Walker qui compte le temps de façon obsessionnelle, et même compulsive, est en quête de temps pour lui, de temps pour redevenir lui, l’homme qu’il a été et qu’il a oublié d’être. L’avoir a pris la place de l’être et la fuite doit permettre une reconquête de l’identité perdue, malmenée, galvaudée pendant trop d’années.

Si vous aspirez en tout cas à fuir pour quelques heures, sans autre dommage collatéral qu’une petite emplette, Bulles de Culture vous recommande vivement de suivre les traces de La Femme qui fuit et de L’Homme qui s’envola.

En savoir plus :

  • La Femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette, éditions Marchand de feuilles, 2015, et éditions Livre de Poche, 1 mars 2017, 448 pages, 7,60€
  • L’Homme qui s’envola, Antoine Bello, Gallimard, 4 mai 2017, 320 pages, 20€
Morgane P.

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