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Taipei, Histoires au coin de la rue

[CRITIQUE] “Tapei, histoires au coin de la rue” : Des nouvelles captivantes

La maison d’édition L’Asiathèque propose, avec Tapei, histoires au coin de la rue, un recueil de nouvelles autour de la capitale taïwanaise : un voyage envoûtant au gré de fictions qui fascinent. Notre avis sur ce recueil que nous avons adoré.

Taipei, Histoires au coin de la rueSynopsis :

C’est une série de nouvelles réunies par le même décor : la ville de Tapei, à Taïwan. Les histoires diverses promènent le lecteur au fil des quartiers et lui font rencontrer une foule de personnages hétéroclites, souvent jeunes, qui vivent une aventure en lien avec la capitale taïwanaise. En guise d’intermèdes, des visites gastronomiques au cœur de petits restaurants qui défendent la culture culinaire taïwanaise. Le voyage est garanti ! Vos papilles gustatives se nourrissent d’imagination et les petites escales fictionnelles sont d’une richesse saisissante.

Tapei, histoires au coin de la rue :
À la découverte de la ville

 

C’est par une préface riche et instructive de Gwennaël Gaffric que s’ouvre Tapei, histoires au coin de la rue. Le lecteur acquiert ainsi en quelques pages les éléments nécessaires pour se repérer dans les rues de cette ville. Cette courte présentation est une plongée immédiate dans un univers inconnu mais fascinant, celui d’un pays gouverné par la Chine puis cédé aux Japonais qui le développent et, après la défaite du Japon en 1945, devenu le refuge d’opposants chinois aux communistes.

Cette histoire de Tapei s’incarne dans les nouvelles du recueil Tapei, histoires au coin de la rue. On découvre une population cosmopolite ; on se heurte à une diversité linguistique de laquelle naît une forme de racisme entre les « vrais » Taïwanais et les autres ; on voit errer les anciens militaires de l’armée de Tchang Kaï-chek qui espéraient que leur chef continue à revendiquer le pouvoir sur le continent ; on surprend les doutes d’une jeunesse parfois perplexe devant ce passé et devant l’avenir. Le cosmopolitisme de Tapei absorbe le lecteur et lui fait découvrir tout un pan de l’histoire asiatique qu’il méconnaît.

C’est encore une ville en perpétuelle reconstruction que nous sillonnons au gré des nouvelles. La rencontre de l’ancien et du nouveau est au cœur de Taipei, histoires au coin de la rue. On traverse ainsi les quartiers pauvres, le marché, d’immenses chantiers, des quartiers résidentiels récents. On comprend que la ville est façonnée aussi par ces vagues d’occupation successives — comme en témoigne le chantier titanesque du mémorial de Tchang Kaï — et en pleine reconstruction suite à son essor économique. Nous voyons les personnages ballottés par ces séries de reconstruction et ces strates de la ville.

Une galerie de personnages attachants

 

Ce sont en tout huit petites pièces de fictions qui vous sont servies comme ces raviolis taïwanais dont l’équilibre entre pâte et farce est extrêmement fragile. Ou comme ces pâtes fourrées qui vous donnent l’eau à la bouche ou ces truffes chocolatées qu’il faut savourer lentement pour profiter au mieux de leur parfum, ce sont huit histoires délicieuses dont on se régale d’un bout à l’autre.

Huit pièces fictionnelles et autant d’univers différents. Vous découvrez alors la violence de la ville avec les yeux d’un petit garçon qui vient de la campagne et vit avec sa sœur ; vous montez sur la moto de ce jeune homosexuel qui craint d’avoir le SIDA ; vous regardez avec circonspection cette jeune serveuse qui peine à trouver sa place ; vous sillonnez la ville avec ce chauffeur de taxi qui pense nostalgiquement à sa fille qui étudie à Paris ; vous frissonnez avec le gamin qui doit traverser les couloirs sombres du marché pour aller aux toilettes de nuit ; vous tremblez avec cet adolescent qui est le témoin involontaire d’un règlement de compte au sabre.

Qu’il s’agisse d’une jeune fille résignée à se prostituer pour nourrir sa famille, de ces gamins perdus dans les recoins sombres, de ces adolescents qui se démènent, la ville semble les happer dans sa violence. On vibre avec ces personnages de ces émotions pleines d’élan que sont l’amour naissant, la jalousie, la tendresse. On espère avec eux, et l’on voit cependant la ville absorber ces émotions et briser leur énergie. Restent alors la déception, la crainte, la peur, la résignation. La jeunesse semble ainsi se heurter à la ville plus qu’elle ne parvient à y trouver sa place.

L’ensemble formé par ces nouvelles qui viennent s’ajouter les unes aux autres, se répondre et se compléter, donne au recueil une allure de fresque. Et cette fresque est captivante de réalisme, ensorcelante d’émotions en tout genre. Dans Tapei, histoires au coin de la rue, on découvre une jeunesse souvent livrée à elle-même, partagée entre espoir et défaitisme, entre aspiration et renoncement, souvent mise à mal par cette ville en perpétuelle mutation, et qui peine à s’accomplir pleinement face à cette violence urbaine, face au déchirement qui s’opère entre tradition et occidentalisation.

Un bel hommage à la création littéraire taïwanaise contemporaine

 

Tapei, histoires au coin de la rue regroupe des textes de neuf auteurs taïwanais contemporains :

  • Chang Wan-k’Ang (Videoman)
  • Chi Ta-wei (La carte d’identité d’un inconnu)
  • Jane Jian (Le petit bassin de Taipei)
  • Chou Tan-ying (Retour de nuit)
  • Lin Yao-Teh (La rue Lungch’üan)
  • Lo Yi-chin (Le Mémorial de Tchang Kaï-chek)
  • Walis Nokan (Ça, cette pluie du chagrin)
  • Shu Kuo-chih
  • Wu Ming-yi (Histoire de toilettes)

Leurs textes traduits sont tous inédits en Français. Et tous gagnent à être connus !

L’ensemble des chroniques culinaires est signé Shu Kuo-chih, bien connu à Taïwan pour ce type de texte. Et Shu Kuo-chih excelle à vous faire découvrir toute une palette de saveurs inédites qui sont autant de pauses indicatrices de l’atmosphère des quartiers où elles prennent place.

Quant aux nouvelles, elles révèlent toutes une maîtrise de la fiction fascinante, doublée d’une justesse rare. Les nouvelles sont limées avec précision, ciselée avec art. Elles touchent toutes juste et fort. La forme de la nouvelle ne tend pas à une simplification de leur dimension fictionnelle. Bien au contraire, les nouvelles mettent en avant des postures narratives originales, tout comme elles mettent en scène des personnages complexes, énigmatiques. Le lecteur est entraîné par le rythme des histoires et se laisse entièrement conquérir par le nuancier qu’elles offrent.

Ce donc de formidables découvertes qui vous attendent au fil des pages, car le recueil Tapei, histoires au coin de la rue est une invitation au voyage qui tient toutes ses promesses, qui captive d’un bout à l’autre, qui vous transporte dans les méandres d’une ville méconnue aux allures de monstre gigantesque.

Que vous soyez voyageur du monde ou arpenteur de pages, lecteur avide ou curieux sceptique, courez faire l’acquisition de ce recueil qui vaut bien des détours !

 

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En savoir plus :

  • Tapei, histoires au coin de la rue, anthologie de nouvelles, éditions L’Asiathèque, mai 2017, 240 p, 19,50 €
Morgane P.

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