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Le Magicien sur la passerelle Ming-yi Wu couverture livre

♥ [CRITIQUE] “Le Magicien sur la passerelle” : Un entre-deux envoûtant entre roman et nouvelle

La maison d’édition L’Asiathèque vous propose une enquête sur les traces d’un mystérieux illusionniste dans Le Magicien sur la passerelle (歩道橋の魔術師), œuvre de l’auteur taïwanais Wu Ming-yi. Un ouvrage fascinant qui a conquis Bulles de Culture. C’est un coup de cœur pour nous.

Synopsis :

Le Magicien sur la passerelle Ming-yi Wu couverture livreSur une passerelle du célèbre marché de Chunghua, à Taipei, capitale de Taïwan, se trouve un étrange magicien qui captive le regard d’un petit garçon. D’étranges phénomènes se produisent ; le magicien y est-il lié ? Et si des années après, le petit garçon devenu grand repartait sur les traces de cet étrange personnage de son enfance ? Vous voilà avec lui, à la quête de cet être fantomatique et inquiétant, à interroger tous ceux qui peuvent peut-être se souvenir de lui, et qui, comme le narrateur, ont grandi, vécu, souffert. Les récits de chacun viennent former une longe énigmatique qui ramène vers le passé et découvrent au lecteur un univers singulier tout empreint de réalisme et de magie.

Le Magicien sur la passerelle :
Un microcosme étrange

 

Le Magicien sur la passerelle de Wu Ming-yi nous entraîne dans un espace géographique bien défini : celui du marché de Chunghua, dans la capitale taïwanaise. Nous nous trouvons plus précisément entre le bâtiment « Ai » (Amour) et le bâtiment « Hsin » (Confiance), ce qui en soi est tout un symbole, car au fil des pages nous ne cesserons de vibrer sous les caresses amoureuses, les accolades amicales, tout comme nous ne cesserons de nous demander s’il faut faire confiance à nos sens ou si nous sommes victimes d’illusion.

C’est dans un univers d’habitat précaire où la vie est dure que nous pénétrons. Nous découvrons tout un ensemble de familles malmenées par la vie qui se débrouillent tant bien que mal. Nous entrons également dans un ensemble de petites échoppes : fabrique de clés ou de costumes, petit restaurant de raviolis, vendeurs de livres d’occasion, etc. Toutes les facettes de l’artisanat se décomposent sous nos yeux, et se transforment avec le développement progressif des nouvelles technologies.

Aussi est-ce un monde en mutation que nous saisissons au fil des récits : le marché est tiraillé entre tradition et progrès, et ses habitants sont déchirés entre ces deux tendances, à l’instar du narrateur qui fait revivre le marché aujourd’hui détruit à travers son ouvrage Le Magicien et la passerelle. Cette volonté apparaît d’ailleurs par un effet de mise en abyme à travers la présence d’un personnage qui reconstitue minutieusement le marché dans une maquette : tout comme le narrateur, il cherche à faire resurgir cet immense terrain de jeu dans lequel les enfants ont évolué librement.

Entre onirisme et réalisme

 

Taipei, histoires au coin de la rue photo Wu Ming-yi
Wu Ming-yi
© D.R.

L’ensemble des récits que propose Le Magicien sur la passerelle fait apparaître illusions, magie, mystères. La raison est mise à mal. Le lion du temple prend-il bien vie ? Un zèbre s’est-il bien échappé des toilettes ? Et ce garçon qui a disparu soudainement et est réapparu avec le même mystère, était-il bien dans ce 99e étage imaginaire ? On oscille ainsi entre rêve et réalité, au gré d’une logique qui échappe aux carcans de la raison pour laisser libre cours à l’imagination, aux troubles des passions, et ouvrir la porte à l’irrationnel, à la poésie aussi.

Toutefois, cette incursion de l’onirisme est rarement légère. Car tous nos personnages sont aux prises avec une réalité dure, lourde de contraintes et de défaites, de blessures et d’échecs. Quand l’imaginaire se soulève, c’est toujours en lien avec cette réalité. Le monde du rêve offre des détours, mais ne permet pas d’échappatoire réel.

Aussi le réalisme n’est-il pas absent du Magicien sur la passerelle. On partage le quotidien du marché de Chunghua au fil des pages. On prend conscience de ce qu’y était la vie, des écueils aux espoirs de ces enfants qui en faisaient leur terrain de jeu, des débrouilles mises en place pour arriver à vivre malgré les obstacles. On s’attache à ces enfants devenus malgré eux des adultes qui espèrent et qui essayent.

En quête d’identité

 

Les personnages que nous rencontrons au fil des récits du livre Le Magicien sur la passerelle de Wu Ming-yi ont tous un point commun : ils étaient enfants comme notre narrateur, spectateurs admiratifs ou inquiets devant ce magicien étrange. Les histoires qu’ils racontent découvrent les adultes qu’ils sont devenus. Qu’ils nous content un souvenir, une rencontre, la voie qu’ils ont choisie, on voit apparaître un ensemble de parcours malmenés, dont la linéarité a toujours été dérangée.

C’est une génération qui se cherche et peine à trouver sa place qui se dessine ainsi sous nos yeux, une génération dont les parents ont été abimés par une vie d’artisanat et de galère, une génération déchirée par les mutations de la ville, happée par le développement incessant de la capitale qui les avale comme un monstre.

Tous les personnages du Magicien sur la passerelle, et le narrateur le premier, semblent être hantés par cette enfance passée dans les recoins du marché de Chunghua, ce petit univers clos, ce terrain où ils ont été témoins des passions contrariées, où ils ont vu la mort et les ravages de la douleur, et où cependant ils savaient trouver leur place, trouver des subterfuges pour résister, s’entraider pour éclaircir l’horizon. La perte des repères et la modernisation de la ville ont fait des ravages sur cette génération sacrifiée à qui la mutation de la capitale n’a rien apporté d’autre que l’anonymat de la ville.

Le Magicien sur la passerelle est un livre coup de cœur de Bulles de Culture.

 

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En savoir plus :

  • Le Magicien sur la passerelle, Wu Ming-yi, traduit du chinois (Taïwan) par Gwennaël Gaffric, L’Asiathèque, janvier 2017, 269 pages, 19,50 €
  • On peut également lire une nouvelle de Wu Ming-yi dans Taipei, histoires au coin de la rue
Morgane P.

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