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[INTERVIEW] “Cannabis” de Hamid Hlioua : Rencontre avec l’équipe de la série

Dernière mise à jour : décembre 9th, 2016 at 07:46 pm

La série Cannabis de Hamid Hlioua deale à partir de ce jeudi 8 décembre 2016 sur Arte. Rencontre avec la co-productrice Tonie Marshall, les scénaristes Hamid Hlioua, Clara Bourreau et Virginie Brac ainsi qu’avec les acteurs Kate Moran, Yasin Houicha, Christophe Paou et Pedro Casablanc.

Synopsis :

Une nuit en Méditerranée. Une tonne de cannabis appartenant à un baron de la drogue de Marbella, El Feo (Pedro Casablanc), est volée sur un bateau. Le trafiquant Farid Belhadj (Younès Bouab) disparaît en laissant derrière lui une montagne de dettes et un bordel de luxe, le Princess. Pendant que sa femme Anna (Kate Moran) tente de faire face à la situation, Morphée (Christophe Paou), dealer en banlieue parisienne, apprend la nouvelle du vol de la cargaison d’El Feo. Furieux, il envoie en Espagne son jeune lieutenant Shams (Yasin Houicha) pour résoudre la situation. Mais il ne sait pas que Zohra Kateb (Carima Amarouche), récemment élue maire dans la commune de Villiers, est maintenant prête à tout pour démanteler le trafic dans la cité. Tandis que le père de Shams, Yassine (Jean-Michel Correia), sort de prison, le terrible El Feo organise sa vengeance.

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La production et la réalisation de Cannabis

 

Durant six épisodes de 52 minutes sur le trafic de cannabis, nous suivons le destin de quatre personnages emblématiques, du petit dealer au baron de la drogue. Première série réalisée par Lucie Borteleau (Fidelio, l’odyssée d’Alice), Cannabis n’est pas intéressant par son côté saga familiale mais par ses moments presque documentaires sur le milieu de la drogue, tel que le rôle d’un “saraf” (un banquier) expliqué par un des personnages dans l’épisode 5 de la série.

Lors d’un point presse organisé par la chaîne franco-allemande Arte, la co-productrice Tonie Marshall est revenue sur les raisons qui ont poussée sa société de production Tabo Tabo Films de produire la série Cannabis et de faire appel à la jeune réalisatrice Lucie Borteleau pour la réaliser.

Tonie Marshall : Nous, ce qui nous intéressait dans ce projet, outre le titre Cannabis qui évoquait un imaginaire, était de ne pas avoir un point de vue moral, d’être à la fois documenté et d’être aussi une série romanesque avec le personnage d’El Feo. Et quand il a fallu choisir un réalisateur, avec Véronique Zerdoun [NDLR : l’autre co-productrice de Tabo Tabo Films], on a vu ‘Fidelio, l’odyssée d’Alice’. Il y a dans ce film des scènes de sexe remarquablement filmées et je pense que c’est une des choses les plus difficiles à faire, d’être à la bonne distance, de savoir être à la fois transgressif et respectueux. Il y avait quelque chose de très juste et on s’est dit, il faut rencontrer cette jeune femme. Et quand on l’a rencontré et qu’on lui a montré les textes, la façon dont elle nous en a parlé nous a convaincu de lui confier la réalisation des six épisodes. C’était un challenge et on est content de l’avoir fait. Et merci à Arte d’avoir laissé à Lucie toute la liberté de faire le casting qu’elle souhaitait.

Lucie Borteleau : Moi, je venais de sortir mon premier film, ‘Fidelio, l’odyssée d’Alice’ quand Tonie Marshall et Véronique Zerdoun m’ont appelé. J’avais l’impression que c’était comme un cadeau qui tombe du ciel. J’ai reçu quatre épisodes et quand j’ai commencé à lire, je ne pouvais plus m’arrêter. Les textes me faisaient envie parce que je trouvais les personnages extrêmement complexes, ambivalents. Et parce qu’il y avait de vrais personnages très méchants, avec notamment El Feo [NDLR : le personnage interprété par l’acteur Pedro Casablanc] qui est un peu au sommet de la pyramide. Mais Morphée [NDLR : le personnage interprété par l’acteur Christophe Paou] est pas mal aussi. Ce sont des personnages un peu baroques qu’on n’ose peut-être pas écrire dans le cinéma d’auteur dont je viens et que j’adore. Alors que c’est tellement extraordinaire d’avoir la chance de pousser le curseur, d’aller plus loin. En terme de mise en scène, les scènes d’action, de violence, c’était un territoire inconnu pour moi et c’était très excitant à explorer.

Donc effectivement, quand j’ai passé mon entretien d’embauche, j’étais tellement prête à tout et convaincu de ne pas être choisi que j’ai du être pas mal. J’étais très enthousiaste sur la manière dont on allait le fabriquer. Et Arte nous a laissé toute liberté, que ce soit dans le choix des acteurs, de la chef opératrice, de la monteuse et des gens qui avaient envie d’aborder ces textes formidables comme si c’était un grand film, un film de six heures. Une espèce de fresque.

La genèse et l’écriture de Cannabis

 

Côté création, Cannabis a été créée par le jeune auteur Hamid Hlioua (bible et arches narratives) qui l’a ensuite scénarisée avec Clara Bourreau (synopsis et séquenciers) et Virginie Brac (continuités dialoguées). Lors du point presse d’Arte, Hamid Hlioua est donc revenu sur la genèse de la série tandis que Clara Bourreau et Virginie Brac nous ont confié sur ce qui leur a donnés envie de rejoindre ce projet.

Hamid Hlioua : C’est un projet dont j’ai rêvé pendant des années avant d’oser l’écrire. L’ambition au départ était de raconter quelque chose qui ne soit pas manichéen, qu’on ait une morale un peu plus complexe. Ce qu’on voulait éviter, c’était un point de vue qui simplifierait les choses. Avoir un brave flic ou un courageux procureur, cela nous aurait donné  tout de suite un point de vue qu’on connaissait déjà et une facilité pour avoir de l’empathie sur les personnages. Nous, on voulait raconter le trafic par le biais des gens qui le constituent.

Le cadre général, c’est le cannabis mais le thème qui relie et traverse tous ces personnages, c’est la famille. Les personnages ont tous un rapport particulier à la famille, à la filiation et aux secrets de famille. Ce qui nous intéressait en fait était de traiter la famille à partir du dysfonctionnement. D’ailleurs, le trafic est aussi traiter dans la dysfonction. C’est le cas de la première scène de braquage des deux tonnes de cannabis. Quand tout roule, tout marche bien, les personnages ne se révèlent pas. C’est dans la dysfonction que les gens se révèlent. On voulait créer des êtres humains, parler de gens et non de personnages.

Clara Bourreau : Il se trouve que le travail, le milieu professionnel des personnages, c’est la drogue. Mais en fait, on montre des gens au travail. Et on montre aussi des gens très seuls. Même si Shams [NDLR : le personnage interprété par l’acteur Yasin Houicha] a été élevé par sa grand-mère, il est quand même assez seul. Morphée, il ne respire pas le bonheur conjugal non plus. Anna  [NDLR : le personnage interprété par l’acteur Kate Moran] encore moins. El Feo, n’en parlons pas. Ces personnages essaient de faire au mieux leur travail tout en se débattant avec leurs problèmes personnels, familiaux… et c’est ça qui m’a touché.

Virginie Brac : Moi, ce qui m’a tout de suite touché, c’est le romanesque, le côté baroque, excessif qui a été magnifié par la mise en scène de Lucie Borleteau. Moi, j’avais déjà écrit sur le trafic de drogue mais ça, je ne l’avais jamais vu.

Bulles de Culture : Et comment avez-vous procédé pour vous documenter sur le sujet ?

Hamid Hlioua : On écrirait pas une série sur les traders sans aller dans une salle de marché. Donc, il fallait gagner la confiance de gens qui sont trafiquants et qui aujourd’hui habitent dans le Rif, à Marbella et en région parisienne. Par documentation, j’entends vraiment le matériau le plus brut. Il y a beaucoup d’articles et d’études qui sont vraiment brillants sur le sujet mais à un moment donné, pour que son point de vue ne soit pas déformé par celui des autres, il faut le construire à partir de ceux qui le vivent.

Les quatre personnages principaux
de Cannabis

 

Après la productrice, la réalisatrice et les trois auteurs, les quatre acteurs peu connus de la série, Kate Moran (Les rencontres d’après minuit), Yasin Houicha (Divines), Christophe Paou (L’Inconnu du lac) et Pedro Casablanc (Les otages du désert), se joignent à la conversation pour nous présenter les quatre personnages principaux de Cannabis.

 

Le personnage d'Anna Belhadj
© Lucia Faraig
© Lucia Faraig

 

Kate Moran : J’ai trouvé la série incroyablement riche dès l’écriture. Et la chose qui m’a énormément touché, ce sont tous les personnages féminins de cette série. Car c’est malheureusement très rare dans les sagas familiales que les femmes aient un rôle si important. Souvent, elles jouent la mère, la grand-mère ou la maîtresse.

Clara Bourreau : Et j’ai l’impression que c’est l’une des premières séries françaises où il n’y a pas de premier rôle qui soit un homme blanc et hétérosexuel.

Hamid Hlioua : C’était inconscient.

Virginie Brac : Et c’est pour ça que Clara Bourreau et moi, nous avons pu entrer si facilement dans cette série, grâce à ces personnages féminins très forts.

Bulles de Culture : Est-ce que la série Mafiosa [NDLR : la série créée par Hugues Pagan] ne vous a pas rassuré sur l’intérêt des téléspectateurs pour les personnages féminins forts ?

Lucie Borteleau : Non car pour Mafiosa, c’est l’histoire principale. Même le teasing de la série était basée là-dessus. Alors que dans Cannabis, il y a quelque chose de choral, elles font partie de la fiction.

Hamid Hlioua : Mafiosa n’a jamais été une référence. On est surtout parti de la réalité pour mieux inventer. Pour avoir des personnages féminins qui soient forts, il fallait bien connaître le milieu pour que cela ne soit pas caricatural. Et une fois qu’on connaît bien le milieu, où une femme peut-elle trouver sa place ? J’ai parlé avec des trafiquants qui sont encore en activité aujourd’hui et ils ne connaissent pas tellement de femmes qui sont dans le milieu. En revanche, mieux, on connaît ce milieu-là, mieux on voit comment une femme peut y arriver.

Lucie Borteleau : Les femmes sont la moitié de l’humanité donc elles sont là de fait.

Le personnage de Shams Belhadj
Cannabis (4-6)
© Jean-Claude Lother

 

Yasin Houicha : Shams est un personnage qui inspire beaucoup de sympathie. C’est humainement quelqu’un de très généreux et bienveillant malgré ses actions illégales et immorales. Je le comprends. Avoir grandi dans une cité qui est une plaque tournante du trafic de drogue et avoir grandi sans ses parents lui ont imposé le statut d’homme de la maison. Il a dû prendre ses responsabilités très jeune.

Le personnage de Morphée
Cannabis (4-6)
© Jean-Claude Lother

 

Christophe Paou : Je ne juge pas mon personnage mais pour moi, Morphée est un con. Il a une étincelle d’amour quand même. Il vit une belle et vraie histoire d’amour mais qui va le perdre indirectement. Après, il a un boulot et il a choisi des collègues de quinze ans donc il faut les faire avancer. C’est difficile de bosser avec des adolescents. De temps en temps, il faut les taper. (Rires)

Hamid Hlioua : C’est vrai que Morphée, c’est quelqu’un qui souffre. Il est issu d’un milieu hyper viril et au fond de lui, il est l’exact opposé de ce qu’il est sensé représenter au quotidien dans son activité professionnelle. Et pour ne pas que son fils vive ce décalage, pour ne pas qu’il connaisse les difficultés qu’il a connues, il veut faire de son fils l’homme le plus viril qui soit. C’est quelqu’un qui souffre beaucoup et cela se concrétise par l’âpreté de ses relations avec son entourage.

Christophe Paou : Et le tatouage de “J’ai pas sommeil” est une référence au film de Claire Denis. C’est peut-être le seul point philosophique qu’on pourrait donner à ce personnage. “J’ai pas sommeil” sous-entend qu’il faut rester éveillé en faisant vraiment ce qu’on a envie de faire. C’est le côté un peu punk de ce personnage face à la société, à l’ordre établi.

Le personnage d'Omar El Fassi, dit El Feo
Cannabis (4-6)
© Lucia Faraig

 

Pedro Casablanc : El Feo, c’est un mystère, c’est le mal incarné.

Lucie Borteleau : Pour moi, c’est un genre d’esthète. Il est prodigieusement cultivé, il a du goût pour la peinture, les arts et aussi pour les jeunes filles. C’est comme s’il recherchait aussi la beauté dans la manière dont il exerce sa violence, son pouvoir. Et ça, c’est quelque chose de très troublant. Mais on ne le juge pas.

Clara Bourreau : C’est aussi un méchant qui a des règles et il a beaucoup d’imagination pour déverser sa violence.

Lucie Borteleau : C’est Richard III, un personnage shakespearien.

Une saison 2 de Cannabis ?

 

 

Enfin, si pour le moment, aucune saison 2 de Cannabis n’est actuellement en développement pour Arte, cela n’a pas empêché la réalisatrice Lucie Borteleau de conclure ce point presse par un souhait si jamais cette suite voyait le jour.

Lucie Borteleau : Si on rêvait d’une saison 2, moi, j’adorerais qu’on aille faire des trucs en province. Parce que moi, je viens de province et que le cannabis y est. Ce serait un autre truc à explorer.

Propos recueillis le jeudi 10 novembre 2016 au café Les Editeurs (Paris, France).

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En savoir plus :

  • Cannabis est diffusé les jeudis 8 et 15 décembre 2016 sur Arte
  • La bande originale de la série Cannabis est disponible en CD, vinyle et téléchargement légal depuis le 2 décembre 2016 chez Milan Music
Jean-Christophe Nurbel

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