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[Critique & Interview] “Harry : Portrait d’un détective privé” (2016) de Maxime Desruisseaux

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 12:35 pm

Par son authenticité, le faux documentaire de Maxime Desruisseaux, Harry : Portrait d’un détective privé, a déjà séduit le public canadien. Il est en compétition en France au Festival Polar de Cognac 2016. L’interview de Bulles de Culture du réalisateur.

Synopsis :

Durant 28 jours, une équipe de tournage a pu suivre Harry Houde (Nick Theodorakis) dans son quotidien foutraque de détective privé. Mêlant vie privée et souvenirs d’investigations, il entraine bientôt tout ce petit monde dans une enquête en Gaspésie durant laquelle il dévoile la face sombre de sa personnalité.

Harry : Portrait d’un détective privé : un film drôle et humain

C’est un binôme qui marque les esprits : Nick Theodorakis et Maxime Desruisseaux. Devant la caméra, le charismatique Nick interprète Harry Houde, ce détective privé aussi extravagant et loufoque que charmant et touchant. Harry, plus imbibé qu’un baba au rhum nous invite à la découverte de son monde interlope sur une bande son jazzy évoquant les vieux films de détective. Derrière la caméra, Maxime Desruisseaux livre un film drôle et humain, à la photographie noir et blanc léchée. Résultat : Harry : Portrait d’un détective privé est un faux documentaire (un documenteur) terriblement inattendu et différent qui a déjà été récompensé du Météore Gaspésie – Les Îles aux Percéides au Festival international de cinéma et d’art de Percé 2016 (Québec, Canada). À noter que le président du jury était Charles Tesson, directeur artistique de la Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Le film est aussi en lice au Festival Polar de Cognac 2016.

Nous avons pu nous entretenir avec son réalisateur, Maxime Desruisseaux.

Interview du réalisateur Maxime Desruisseaux: portrait loufoque et interprète foutraque

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© D.R.

Bulles de culture : Comment pitchez-vous le film Harry : Portrait d’un détective privé ?

Maxime Desruisseaux : Il s’agit d’un film sorti de nulle part dans lequel les gens découvriront une performance d’acteur aussi inattendue qu’époustouflante, gracieuseté de Nick Theodorakis.

Bulles de Culture : Nick Theodorakis, l’interprète de Harry est un véritable « personnage » à lui seul. Pouvez-vous me parler de lui ? Qui est-il ? Comment avez-vous fait sa connaissance ? Comment l’avez-vous convaincu de participer au projet ?

Maxime Desruisseaux : Nick est en effet tout un personnage dans la vraie vie ! C’est un individu très charismatique, extrêmement bon et généreux de nature ; et pourtant, les opinions à son égard sont très polarisées, car il est exubérant et sans filtre, ce qui déplaît à certains. C’est d’ailleurs sa personnalité particulière que nous voulions mettre en avant dans notre film… pendant un instant, il pleure et vous fait pleurer ; puis le moment d’après, il balance une blague de mauvais goût et crée un malaise !
Nick est également quelqu’un qui aime bien se faire remarquer ! Dans ces circonstances, il n’a pas été difficile de le convaincre de participer à un film dans lequel il tiendrait la vedette. Surtout que nous sommes des amis très proches et de longue date (je l’ai connu au collège, alors qu’il était mon enseignant !), alors il m’a fait confiance et s’est généreusement lancé dans l’aventure.

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© D.R.

Bulles de Culture : Pourquoi ne pas avoir filmé Nick dans son véritable quotidien ? Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet ?

Maxime Desruisseaux : Nick passe ses journées à écouter de vieux épisodes des Simpsons et de Seinfeld, alors il n’y aurait franchement aucun intérêt à filmer son quotidien ! Je le sais, car j’ai habité chez lui pendant deux ans, de 2013 à 2015 (ce qui a d’ailleurs franchement facilité le tournage !).
Par ailleurs, même si la personnalité de Nick est au cœur du film, je crois qu’il était absolument nécessaire d’y ajouter une intrigue afin de pouvoir découvrir les facettes les plus extrêmes du personnage qui ne seraient pas ressorties au quotidien.
Cela dit, j’aurais de la difficulté à vous dire pourquoi nous avons précisément choisi d’en faire un détective privé… En toute honnêteté, c’est probablement juste que ça nous apparaissait un thème amusant à manipuler.

Bulles de Culture : Qu’est-ce que la couche de fiction permet ou apporte ?

Maxime Desruisseaux : Tel que mentionné précédemment, la couche de fiction nous a permis d’explorer les facettes les plus extrêmes du personnage, étant donné les situations particulières auxquelles il fait face en tant que détective privé.
Il est toutefois important de souligner que la fiction nous a également permis d’inventer, tout simplement ! Car malgré certaines ressemblances, Nick Theodorakis n’est pas Harry !

Le C’est arrivé près de chez vous québécois ?

Bulles de Culture : J’ai lu dans différentes interviews que C’est arrivé près de chez vous a été une source d’inspiration, de même que le travail des documentaristes Michel Brault et Pierre Perreault : en quoi ces films ou univers ont-ils concrètement influencé ce projet ?

Maxime Desruisseaux : C’est arrivé près de chez vous est, comme Harry : Portrait d’un détective privé, un faux documentaire dans lequel on scrute de près la personnalité à la fois attachante et déroutante du personnage principal. De plus, dans un cas comme dans l’autre, le personnage principal s’adresse constamment aux cinéastes qui le filment (et qui se trouvent derrière la caméra).
Or, pour des raisons de perspective, les gens assis au cinéma se sentent eux aussi situés derrière la caméra, ce qui fait en sorte qu’ils ont pratiquement l’impression de participer aux échanges avec le personnage. Ils développent ainsi avec lui un sentiment de proximité et d’attachement très particulier, et il s’agit là, je crois, d’un mécanisme fort pour générer de l’intérêt à l’égard du récit.
Quant à Michel Brault et Pierre Perreault, ils étaient maîtres dans l’art de faire de superbes films avec peu de moyens, et de s’adapter constamment aux individus qu’ils filmaient. C’est pour cette raison que Thony Jourdain, notre directeur photo, s’est beaucoup inspiré d’eux dans sa manière de capter le travail de Nick Theodorakis (qui improvisait beaucoup durant le tournage). Je crois d’ailleurs que grâce à ça, notre personnage principal dégage une grande authenticité, à un point tel que les gens ne savent plus départager ce qui est vrai de ce qui a été acté!

Bulles de Culture : Le film L’Inspecteur Harry a-t-il également été une source d’inspiration ?

Maxime Desruisseaux : Nous nous faisons souvent poser la question… mais non, pas vraiment! Nous n’avons remarqué le rapprochement possible entre notre Harry et celui de Clint Eastwood qu’une fois le film terminé.

Un projet au long cours

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© D.R.

Bulles de Culture : Justement, quelle est l’histoire de Harry : Portrait d’un détective privé ? D’où vient ce projet ?

Maxime Desruisseaux : Nous avons commencé le tournage du film au mois de mars 2013, sans avoir de scénario précis ! Je crois que nous voulions simplement faire un bon film et nous amuser.
Au jour 1, nous savions seulement que Harry était un détective privé et que sa personnalité correspondait grosso modo à celle de Nick Theodorakis. Pour cette raison, pendant longtemps, les scènes que nous tournions étaient tout simplement improvisées, selon notre inspiration du moment.
Mais au fil des mois, puis des années (!), les moments forts que nous avions captés sont venus forger peu à peu notre trame narrative, de sorte que lors des derniers tournages, en 2015, les scènes étaient désormais écrites à l’avance.
Au final, le synopsis du film est devenu le suivant : « Une équipe de documentaristes rencontre Harry Houde, un détective privé de Québec, afin qu’il leur présente son métier peu conventionnel. Ensemble, ils se rendent en Gaspésie pour retrouver une femme disparue depuis cinq ans. Les documentaristes découvrent alors peu à peu la personnalité déroutante de Harry, un individu charismatique mais aux méthodes peu éthiques ».

Jugement dernier

Bulles de Culture : C’est arrivé près des chez vous critique le voyeurisme de la télé poubelle, dans Harry : Portrait d’un détective privé, quel est votre propos ?

Maxime Desruisseaux : Lorsque vient le temps d’évaluer les gens, nous nous basons rarement sur des faits ; notre instinct nous porte plutôt vers nos émotions, avec pour conséquence que nous sommes trop généreux envers certains, et trop sévères envers d’autres. Autrement dit, nous ne sommes pas particulièrement nuancés dans notre appréciation des gens, ce qui nous mène à des regrets relationnels (par exemple, parce que nous avons été injuste envers quelqu’un ou, à l’inverse, parce que nous avons aveuglément fait confiance à une personne).
Et c’est là, je crois, le propos de notre film: nul n’est tout à fait bon ni tout à fait mauvais. Harry en est un exemple frappant !

Une équipe agile

Bulles de Culture : Les autres interprètes sont-ils, comme Nick Theodorakis, des acteurs non professionnels ?

Maxime Desruisseaux : Le casting de notre film est un mélange d’acteurs professionnels et d’autres qui ont le statut d’amateurs. Par exemple, Nick n’avait jamais participé à un tournage auparavant. À l’inverse, Jean-François Mercier, qui joue également dans notre film, est un humoriste extrêmement bien connu au Québec, et il apparaît constamment à la télévision.

Bulles de Culture : J’ai lu que vous étiez passé d’une méthode de travail basée sur l’improvisation à un scénario plus classique, plus écrit. L’équipe a-t-elle eu des difficultés à modifier sa méthode de travail en cours de route ?

Maxime Desruisseaux : Non, car en fait, c’est un processus qui a vraiment évolué naturellement. Il n’y a pas eu de moment en particulier où nous nous sommes dit : « Fini l’improvisation ! » À un certain stade, il nous est simplement paru logique de scénariser le film avec une plus grande précision, afin de renforcer les liens entre nos différentes scènes et d’enfin achever le récit.

Bulles de Culture : A ce sujet, à quelles difficultés avez vous fait face durant ce tournage ? Et comment les avez vous surmontées ?

Maxime Desruisseaux : Nick, Thony Jourdain [NDLR : le directeur photo du film] et moi-même sommes de bons amis, alors nous avions vraiment beaucoup de plaisir pendant le tournage. Toutefois, la production du film s’est échelonnée sur trois ans, ce qui n’était pas du tout prévu au départ. Et ça, à un certain point, c’est devenu une difficulté importante.
Quand allons-nous enfin terminer ce projet ? Est-ce réellement pertinent de tourner encore de nouvelles scènes ? Devrions-nous mettre un terme à tout ça, quitte à faire un moins bon film ? C’était le genre de questions qui nous assaillaient de plus en plus et je crois que, pour chacun de nous trois, c’était devenu lourd d’y penser.

Quand le documentaire devient ‘documenteur’

Bulles de Culture : En quoi la présence d’une caméra influe sur le caractère des gens ? Qu’est-ce que cela apporte ou permet de faire émerger notamment dans le jeu d’acteur ?

Maxime Desruisseaux : Inévitablement, les acteurs, professionnels ou non, savent qu’ils sont filmés, ce qui influe sur leur comportement. Certains deviendront plus calmes, plus posés, comme s’ils voulaient exhiber leur sagesse ou leur contrôle de soi ; d’autres seront au contraire plus exubérants, plus drôles, plus audacieux.
Dans tous les cas, je crois que la caméra amplifie, vers un extrême ou l’autre, les comportements des gens qui se font filmer. Et ce phénomène est, à mon avis, aussi vrai pour le cinéma de fiction que pour le documentaire.

Ambiance Jack Daniel’s et Kraft Dinner

 

Bulles de Culture : C’est un projet développé avec peu de moyens. Qu’est-ce que cela vous a apporté ? Qu’auriez-vous fait différemment avec un budget plus conséquent ?

Maxime Desruisseaux : Nous sommes vraiment fiers du film que nous avons fait et, comme dans le cas de C’est arrivé près de chez vous ou des films de Michel Brault, Harry : Portrait d’un détective privé a vu le jour précisément parce que nous avions peu de moyens. Dans cette optique, donc, je ne peux pas dire qu’un budget plus important nous aurait mieux servis.
Sauf en ce qui concerne le Kraft Dinner et autres mets à 2$. Nous en aurions clairement moins mangés.

Bulles de Culture : Quelle était l’ambiance sur le tournage de ce film ?

Maxime Desruisseaux : Du pur plaisir. C’est d’ailleurs une ambiance qui sera difficile à reproduire dans les prochains projets. Mais au moins, nos foies auront probablement droit à plus de repos.

Un authentique faux documentaire

Bulles de Culture : Selon vous, qu’est ce qui rend Harry : Portrait d’un détective privé aussi inattendu et différent ?

Maxime Desruisseaux : Je prends cette question comme un superbe compliment !
Je crois que, compte tenu que Nick, Thony Jourdain et moi-même étions tous des cinéastes débutants, et qu’aucun d’entre nous n’avait préalablement étudié dans le domaine, nous avons abordé ce projet sans idées préconçues. Ni sur les thèmes, ni sur la manière de faire.
De là est né un récit atypique, certes, mais aussi extrêmement authentique. Et je crois que ça plaît.

Montage alterné

Bulles de Culture : J’imagine que vous aviez beaucoup du rushes, comment avez-vous travaillé sur le montage ?

Maxime Desruisseaux : Nous avons tourné la première scène en mars 2013, puis entamé le montage le mois suivant. À partir de là, nous avons constamment alterné tournage et montage pendant trois ans, c’est-à-dire jusqu’à ce que le film nous semble à point.
Mais n’essayez pas ça à la maison, votre lasagne risque de cramer.

Propos recueillis grâce à Internet entre Québec et Paris le 29 septembre 2016.

En savoir plus :

Marjolaine Gaudard

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