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© GILLES SCARELLA - FTV

[Interview] Bruno Dega et Jeanne Le Guillou (“Les Petits Meurtres d’Agatha Christie”)

Dernière mise à jour : mai 19th, 2020 at 11:45 pm

Après les avoir rencontré en 2015 pour la série Le Mystère du lac, nous avons interviewé de nouveau les scénaristes Bruno Dega et Jeanne Le Guillou pour l’épisode Albert Major parlait trop de la série Les Petits Meurtres d’Agatha Christie qu’ils ont co-écrit.

Synopsis :

Après un accident de scooter, Alice Avril (Blandine Bellavoir) est hospitalisée dans un étrange hôpital où des chirurgiens procèdent à des expérimentations de greffes de cœur dans un laboratoire secret. Lorsqu’un malade trop curieux est retrouvé assassiné d’une seringue plantée dans l’œil, Alice comprend que sa vie est en danger.

Les Petits Meurtres d’Agatha Christie, épisode 16 : Albert Major parlait trop

C’est donc au Festival de la Fiction TV de la Rochelle en 2016 que Bulles de Culture a eu la chance de rencontrer à nouveau Bruno Dega et Jeanne Le Guillou. Avec eux, nous sommes sommes revenus sur leur travail d’adaptation sur Les Petits Meurtres d’Agatha Christie pour l’épisode 16 de la série, intitulé Albert Major parlait trop, mais aussi sur la saison 2 confirmée de Le Mystère du lac et sur leur projet de série hitcockienne pour France 2.

Interview de Bruno Dega et Jeanne Le Guillou, scénaristes de l’épisode Albert Major parlait trop

Bulles de Culture : Connaissiez-vous déjà la série Les Petits Meurtres d’Agatha Christie avant d’écrire dessus ?

Jeanne Le Guillou : J’étais très, très fan de la série.

Bruno Dega : Je suis moins fan que Jeanne mais j’adore cette série. Moi, j’ai beaucoup travaillé avec la productrice Sophie Revil au tout début. On a démarré ensemble. Et à un moment, on a demandé à notre agent de dire à Sophie que j’avais envie de retravailler avec elle et qu’on avait envie d’écrire un épisode de Les Petits Meurtres d’Agatha Christie. Et là, je reçois un coup de fil de Sophie qui ne savait pas qu’on avait fait cette démarche auprès de notre agent et elle me dit qu’elle cherche des auteurs et qu’elle a pensé à nous. Donc a foncé et on a pris énormément de plaisir à écrire ça. Même si c’est un exercice très difficile.

Bulles de Culture : Sur Le Mystère du lac, vous étiez fiers d’avoir écrit un scénario original, contrairement à d’autres séries adaptées de concepts étrangers. Or, sur cet épisode Albert Major parlait trop de Les Petits Meurtres d’Agatha Christie vous arriviez sur un programme déjà conçu, avec une bible, des personnages…

Jeanne Le Guillou : Oui, c’était un exercice de style avec une époque, des acteurs déjà identifiés et une adaptation d’un roman.  Parmi quatre propositions, on a choisi celle qui nous paraissait la plus adaptable. C’est une adaptation d’un roman d’Agatha Christie dans lequel les trois personnages évidemment n’existent pas puisqu’ils ont été créés pour la série. Donc il y a quand même un énorme travail à faire là-dessus. Et puis re-contextualiser le roman dans l’époque. Donc c’est un vrai exercice de style scénaristique.

Bruno Dega : Cette adaptation va bien au-delà d’une simple adaptation car le roman d’origine s’appelle A Caribbean Mystery et se passe dans un hôtel aux Caraïbes, au bord de la mer. Et nous, on a transposé ça dans un hôpital…

Jeanne Le Guillou : … pour garder un univers un peu clos. Les clients de l’hôtel sont devenus quelque part les patients. Et la direction de l’hôtel, c’est le personnel médical. Contrairement aux séries achetées à l’étranger et adaptées en France qui sont très souvent copier/coller, là, c’est complètement différent comme travail. On s’accroche à une espèce de trame d’Agatha Christie qui est très bien en roman mais là c’est un Miss Marple. Et dans la plupart des Miss Marple, le personnage élucubre des trucs dans sa tête, il s’imagine des choses sur les personnages… Il n’y a pas tant que ça d’action. Donc tout le travail qu’on a à faire est quand même énorme. On garde l’origine des personnages mais en les modifiant complètement parce que là, ils ne sont plus les clients d’un hôtel mais ils sont dans un hôpital pour d’autres raisons.

Bruno Dega : C’est vrai qu’on était fier l’année dernière d’être les seuls avec Harlan Coben et d’autres de faire une série originale. Mais on n’a rien contre les adaptations. Ce qu’on regrette, c’est qu’il y avait — parce que ça a un peu changé cette année — une tendance, toutes chaînes confondues, à ne faire que des adaptations par peur de créer des trucs.

Jeanne Le Guillou : Là, ce qu’on a fait sur Les Petits Meurtres d’Agatha Christie est un travail extrêmement intéressant et dur de création.

Bruno Dega : Et extrêmement plaisant parce qu’écrire pour ces trois acteurs…

Jeanne Le Guillou : … Ah oui, c’est un bonheur ! Surtout, c’est de la comédie aussi. Et c’est très rare de faire des comédies aujourd’hui. Nous, on vient plutôt de la comédie au départ. On a poussé les situations et on a surtout fait en sorte que nos trois héros aient vraiment à “manger” dans cet épisode. Plus que dans d’autres.

Bruno Dega : Ce que Sophie demande de plus en plus, c’est que les héros aient des problématiques personnelles très fortes.

Jeanne Le Guillou : Oui, parce qu’il y a un vrai club de fans de cette série. Les gens viennent les voir tous les trois. Du coup, on a nourri au maximum ces personnages dans notre histoire.

“C’était un puzzle très compliqué”

Bulles de Culture : Cet épisode Albert Major parlait trop de Les Petits Meurtres d’Agatha Christie est un peu particulier parce que…

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… c’est la première fois que Swan Laurence est gentil et prévenant avec Alice Avril. Du coup, comment s’est passé l’écriture avec Sophie Revil car nous savons qu’elle est très présente au stade de l’écriture ?

Jeanne Le Guillou : C’est sa série donc on a vraiment écrit pour elle, c’est-à-dire qu’on l’a connaît, on a très bien compris l’attente et c’était ça le jeu pour nous. Nous, la difficulté en tant que scénaristes, ce n’était pas d’imposer notre patte mais de rentrer dans le cadre et de correspondre à ce qu’elle attendait.

Bruno Dega : Pour répondre à la question du comment ça se passe, on choisit d’abord un livre. À partir de là, on choisit un univers, en se disant : “voilà, ça va se passer dans un hôpital”. Le “qui a tué ?”, etc., on va garder mais par contre, on lui dit en quelques lignes tout ce qu’on va inventer sur les personnages :  il va y avoir une erreur médicale, on va penser qu’Alice Avril va mourir et donc ça va forcer les deux autres à être super gentils. Et on l’explique comme ça, sans avoir encore rien écrit. Ensuite, Sophie dit oui ou non. Là, elle a dit oui et elle nous a même poussé, elle était très enthousiaste.

Jeanne Le Guillou : Et du coup, on était en confiance. Elle connaît sa série par cœur et à partir du moment où on a validé avec elle et qu’elle est enthousiaste, on lui fait totalement confiance. Et ça lui faisait faire avancer ses personnages vers des choses qu’ils n’avaient encore jamais faites. Et les acteurs étaient ravis.

Jeanne Le Guillou : Donc a commencé un traitement pour voir comment entremêler le roman avec ce que nous allions inventer pour les personnages. C’était un puzzle très compliqué. Le but du jeu pour nous était de garder au maximum cette trame de méchants, de suspicion et de fausses pistes et en la réintégrant dans cet univers d’hôpital. Et de mêler à ça dans la construction et dans les rebondissements ce qui arrive à nos héros.

Bulles de Culture : Et aviez-vous réfléchi cet épisode Albert Major parlait trop par rapport à l’esthétique si particulière de la série ?

Jeanne Le Guillou : Oui et c’est un peu un univers de dialogues aussi avec la façon dont Avril parle, elle parle un peu en argot de l’époque. L’autre est un peu pincé 19ème siècle. Marlène a un côté Marilyn, un peu naïve… On a regardé tous les épisodes avant donc on les avait en bouche. On connaissait les comédiens, on connaissait la série, on l’avait vraiment dans l’oreille au moment où on écrivait. Donc c’est devenu très naturel.

Bruno Dega : Après l’esthétique même de la série, Eric Woreth qui a réalisé l’épisode a aussi apporté des choses dans l’atmosphère de cet hôpital. On en a parlé avec lui et lui est allé encore plus loin avec plein d’idées de cadres…

Jeanne Le Guillou : Le côté hitchcokien allait de soi par rapport au décor, à l’époque et à la façon dont Eric tourne. Donc, même pour les crimes, on écrivait que ce serait une ombre projetée sur le mur de la main parce qu’on ne pouvait pas voir qui était le coupable. Donc ça, c’était écrit et Eric, il a rebondi dessus.

Bruno Dega : C’est ça qui est génial. Eric, il en a fait plusieurs et il a toujours cette envie d’inventer…

Jeanne Le Guillou : … de faire des trucs qu’il n’a pas encore fait.

Bruno Dega : Et c’est ça qui fait que c’est super agréable de bosser sur cette série. D’abord, on est accueilli à bras ouverts…

Jeanne Le Guillou : … C’est une famille.

Bruno Dega : Et en plus, ce ne sont que des gens qui adorent ce qu’ils font. Donc on a envie de leur faire plaisir.

Jeanne Le Guillou : Tout le monde collabore, tout le monde s’entend bien. C’est une vraie troupe. C’est pour ça que c’est réussi.

“On s’inscrivait dans une écriture visuelle qui était pré-existante”

Bulles de Culture : Du coup, il y eu une vraie collaboration avec le réalisateur Eric Woreth. Vous avez mentionné la scène de la seringue [NDLR : la scène avec la main projetée sur le mur évoquée plus haut] dans Albert Major parlait trop mais il y a aussi la scène du rideau…

Jeanne Le Guillou :  Le rideau, c’est Eric.

Bruno Dega : La seringue et les ombres projetées, c’est nous. Et le rideau, c’est une idée à lui.

Jeanne Le Guillou : Mais on en a parlé et on a tout de suite validé. On était tous dans le même esprit. Eric, il apporte énormément de choses visuellement. Il va au-delà. Et nous, on ne pouvait pas être à côté de la plaque quand on écrivait. On s’inscrivait dans une écriture visuelle qui était pré-existante. C’était plus facile pour nous. On savait très bien que Laurence, ce serait bien de le voir dans sa voiture et que les filles en scooter. Ça fait partie de la série et on se sert de ça.

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C’est pour ça qu’elles ont un accident de scooter. Parce qu’Alice fait toujours du scooter donc du coup, on a fait qu’elle apprend à Marlène a en faire. On s’est nourri de tous les épisodes d’avant.

Bulles de Culture : Et comment ça s’est passé avec les comédiens ?

Jeanne Le Guillou : On était très serein par rapport aux comédiens parce qu’on savait que par rapport à d’autres épisodes, ils étaient particulièrement servis. On savait que les trois seraient contents. Ils nous ont tous envoyés des e-mails. D’habitude, ça n’arrive jamais quand on est un des auteurs parmi d’autres d’une série.

“Pour la première version, on était trop fidèle au roman”

Bulles de Culture : L’écriture du Mystère du lac avait été rapide, est-ce que cela a été aussi le cas pour  Albert Major parlait trop ?

Bruno Dega : On a eu un séquencier qui n’allait pas du tout. Et en quinze jours, on a tout refait et on nous a dit : “ça y est, on y est”.

Jeanne Le Guillou : Pour la première version, on ne s’était pas assez détaché du roman, on était trop fidèle. Et Sophie Revil nous a dit de balancer un gros coup de pied dans le roman. Du coup, on s’est libéré complètement…

Bruno Dega : … et c’est là qu’est arrivé la greffe du cœur, le clochard…

Jeanne Le Guillou : Oui, on s’est réapproprié notre univers. Et du coup, on a proposé plein de nouvelles idées qui n’étaient pas dans le roman.

Bruno Dega : Donc en fait, c’était assez rapide. On a fait très peu de versions.

Jeanne Le Guillou : Et on était très en avance.

Bruno Dega : Sophie Revil, quand elle prend de nouveaux auteurs et parce qu’elle sait qu’il y en a plein qui se plante ou que ça prend du temps — c’est super difficile à écrire —, elle lance l’écriture un an avant et même plus. Du coup, on l’a fini bien avant. L’année dernière à La Rochelle, il était pratiquement fini.

Jeanne Le Guillou : Oui, le scénario était prêt au moins six mois avant le début du tournage.

Bulles de Culture : Y-a-t-il eu des références pour cet hôpital dans les sous-sols. La série The Knick peut-être ?

Bruno Dega : Non car en écriture, ce n’était pas en sous-sol. C’est le décor qui a imposé le sous-sol. On n’a pas pensé à The Knick mais c’est une jolie référence. Moi, j’adore The Knick.

“Un polar hitchcokien dans une clinique psychiatrique”

Bulles de Culture : Pour conclure, vos projets ? Une saison 2 pour Le Mystère du lac pour commencer sur TF1 ?

Bruno Dega : Oui mais ce n’est pas une suite. Il y a trois personnages qui sont les mêmes. Le personnage de Lannick Gautry, le personnage de Barbara Schulz [NDLR : Julie de Bona devrait remplacer Barbara Schulz dans le rôle] et sa maman Marie-Anne Chazel. Et ça se passe quelques années plus tard. Donc ce n’est pas l’intrigue policière des disparues de la première saison. C’est autre chose avec ces trois protagonistes. Et ça s’appellera Le Tueur du lac.

Sinon, on a signé une série pour France 2, un 6×52 minutes. Pour reprendre les mots de France 2 en conférence de presse, c’est un polar hitchcokien dans une clinique psychiatrique.

Jeanne Le Guillou : Hitchcockien, je ne sais pas. Mais on avait envie de traiter de la psychiatrie et de la folie quotidienne. Pas les fous mais les borderlines…

Bruno Dega : … La folie qui peut tous nous guetter demain.

Jeanne Le Guillou : Ce sont les gens qui font des burn-out et toutes les pathologies (les bipolaires, les dépressifs, les schizophrènes…) qui sont mélangées dans des hôpitaux psychiatriques.

Bruno Dega : Ce sont des gens pour qui tout d’un coup, ça bascule.

Jeanne Le Guillou : Pourquoi ? Comment ? On voulait traiter cet univers et ça faisait trois ans qu’on avait ce projet. On cherchait un moyen de l’imposer en prime time au grand public et ce n’est pas évident. On a trouvé un biais, un prétexte avec le “polar” pour rentrer dans l’univers et pouvoir parler de ces personnes et même de la psychiatrie. On a quand même un truc qui va nous emporter pendant six épisodes mais dans un univers qu’on va pouvoir traiter.

Bruno Dega : On commence l’écriture donc c’est pour ça qu’on ne peut pas en dire plus.

Jeanne Le Guillou : C’est un gros boulot au départ mais après ça ira plus vite. On travaille avec un psychiatre donc ça ne dépend pas que de nous. On a énormément de questions et il faut qu’on fasse valider tout ce qu’on a comme idées…

Bruno Dega : … pour être sûr de ne pas faire n’importe quoi.

Jeanne Le Guillou : Donc c’est un peu plus documenté.

Bruno Dega : C’est un autre boulot, un autre genre et c’est excitant.

Jeanne Le Guillou : Oui, là, ça bouge. Il y a trois ans, on n’aurait pas pu la vendre cette série. Aujourd’hui, on est arrivé pile au bon moment. On peut aborder des choses un peu différentes.

En savoir plus :

  • L’épisode Albert Major parlait trop de Les Petits Meurtres d’Agatha Christie est diffusé sur France 2 le vendredi 23 septembre 2016 à 20h55
Jean-Christophe Nurbel

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