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Shadow Days-affiche

[ITW] Rencontre avec Zhao Dayong (Shadow Days, 2014)

Dernière mise à jour : avril 18th, 2016 at 03:23 pm

Shadow Days-afficheAprès avoir réalisé un film documentaire sur la ville fantomatique de Zhiziluo (Ghost Town, 2008), Zhao Dayong y retourne avec le long métrage de fiction Shadow Days (鬼日子) sur les conséquences de l’application de la politique de l’enfant unique au quotidien. Nous avons eu la chance de rencontrer le réalisateur chinois à Paris.
      

Synopsis :

Pour échapper à un passé trouble, Renwei (Liang Ming) revient en compagnie de sa fiancée, Shiliu (Li Ziqian), dans sa ville natale, dont son oncle (Liu Yu) est le maire, après 20 ans d’absence. Situé dans les montagnes, à la frontière de la Chine et de la Birmanie, la ville de Zhiziluo a bien changé et s’est vidé de ses habitants, la plupart étant partis tenter leur chance en ville. Manquant de bras, l’oncle de Renwei propose à ce dernier de travailler pour le planning familial…

    
“Le bien et le mal
nous accompagnent toute notre vie”

 

Film qui navigue entre le social et le fantastique, Shadow Days débute par une scène où un rickshaw zigzague dans une montagne pour rejoindre la ville isolée de Zhiziluo. Par sa réalisation, ce début de film peut faire penser à la scène d’introduction de Shining (1980).

“Il n’y pas d’influence de cinéastes occidentaux dans mon film mais je suis très content que vous ayez trouvé des similitudes. J’ai toujours fait mes films selon mon instinct. Je ne fais pas beaucoup d’imitation de films. J’ai déjà essayé de faire des références de films occidentaux dans deux de mes films mais ce n’était pas réussi. Pour moi, ce que des cinéastes ressentent, c’est important. Si j’imite, ça ne vient pas de moi, ce n’est pas très sincère.

Donc pour ce film, les éléments fantastiques ne viennent pas de la science-fiction mais ils viennent de la philosophie chinoise. La plupart des chinois n’ont pas de croyance mais certains sont bouddhistes, d’autres confucianistes. Pour le bouddhisme, c’est la roue de la vie, c’est-à-dire que si on fait du bien, on aura du bien mais que si on fait pas du mal, on ira en enfer. Le bien et le mal nous accompagnent toute notre vie donc ce style de réalisation va continuer à exister dans mes films.”
— Zhao Dayong

Si ce que raconte le film sur le contrôle des naissances est marquant, il ne faut pas y voir le seul sujet de Shadow Days car “ces avortements forcés ont lieu chaque jour en Chine, la réalité est beaucoup plus cruelle que ce qui se passe dans mon film”. À travers la spécificité de la ville de Zhiziluo, Zhao Dayong remet en question “l’héritage” laissé par Mao et la Révolution culturelle.

“L’envie de faire ce film vient de mon précédent film [NDLR : Ghost Town], un documentaire que j’ai tourné dans cette ville. Mais raconter l’histoire du planning familial, ce n’est pas l’idée principale du film. La ville a gardé les reliques idéologiques de la Grande Révolution culturelle chinoise [NDLR : qui s’est déroulée de 1966 à 1976] et le style architectural de la ville me rappelait ce que les chinois d’aujourd’hui endurent. En fait, la ville a été un centre administratif avant les années 80 et la plupart des bâtiments ont été construits au moment de la Révolution Culturelle. C’est comme une ombre, il y a toujours l’influence de Mao qui plane sur les gens. C’est à travers cette ville que je veux vous raconter comment des gens d’aujourd’hui vivent toujours dans l’ombre de Mao. En fait, j’utilise le planning familial pour exprimer la cruauté de cette époque.”
— Zhao Dayong

“C’est un personnage symbole pour moi,
il représente la plupart des chinois”

 

Les personnages décrits par Shadow Days ne sont pas glorieux, ils sont même dépourvus d’affects, exceptés le personnage féminin, Shiliu, qui est encore capable de ressentir des choses devant un beau paysage ou des situations révoltantes.

Renwei est lui totalement indifférent à ce qu’il se passe autour de lui. Il reste, par exemple, totalement stoïque devant la détresse des victimes du planning familial.

De son côté, son oncle peut se montrer très cruel dans l’exercice du pouvoir et n’a même aucun problème à faire appel à un chaman, à une effigie de Mao ou à un prêtre pour mettre fin à une malédiction contre lui.

“Renwei est un personnage symbole pour moi, il représente la plupart des chinois qui sont très indifférents et ignorants de ce qu’il se passe autour d’eux. C’est un film noir. J’utilise ce personnage pour faire des rappels très directs aux spectateurs chinois car il est comme eux. À la fin du film…

Cliquer sur le dossier pour afficher le spolier sur la fin de Shadow Days
… ce qui se passe avec le personnage, c’est très frappant parce qu’après ce qui arrive à sa copine, il se réveille, il se venge et c’est ce que je veux dire aux spectateurs. La fin de l’histoire reflète ce que l’on a dit sur le bouddhisme, c’est-à-dire le cercle des causes et des conséquences : si tu es très indifférent sur ce qui se déroule autour de toi, il est possible que la même chose t’arrive à la fin.

Shiliu est une femme qui représente beaucoup de femmes en Chine, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’autonomie, elle doit forcément dépendre de quelqu’un, son mari ou ses parents. Elle, elle veut juste vivre sa propre vie. Le fantôme qui lui apparaît pendant la nuit, c’est un garde rouge, une figure de la Révolution culturelle car les personnages ont des costumes d’armée. Ces gardes rouges sont des jeunes qui ont fait beaucoup de mal pendant la Révolution culturelle. Mais c’est plutôt un symbole pour la femme. Elle a beaucoup de restrictions, elle ne peut pas faire ce qu’elle veut et ce fantôme est une métaphore pour elle.

Et évidemment, l’oncle est un personnage de pouvoir. Il représente les gens qui sont au pouvoir en Chine. Il est un peu comme un robot, une grosse machine de la Chine.”
— Zhao Dayong

“Si notre époque n’avait pas besoin
de cinéma indépendant,
ce genre de cinéma n’existerait pas”

 

Tourné en dehors du système officiel, Shadow Days adopte un style documentaire. Les scènes sont souvent comme tournées sur le vif et improvisées. Les transitions sont abruptes et les seconds rôles (les bons comme les méchants) sont joués par les vrais habitants de la ville qui ont très certainement connus ce que le film dénonce.

C’est aussi la force de ce cinéma indépendant qui a su profiter de l’ère du numérique pour raconter de telles histoires malgré un budget très serré et une censure omniprésente.

Mais est-ce qu’un tel système de production (en dehors du circuit officiel et donc des financements) peut perdurer éternellement ?

“Moi, je suis très pessimiste sur le futur de ce cinéma. À chaque époque, on a des problèmes et maintenant, c’est avec le gouvernement et la censure. Mais ceux qui ont des croyances vont continuer à faire leurs films, c’est sûr. Mais la situation est très critique. Mais je pense que si notre époque n’avait pas besoin de cinéma indépendant, ce genre de cinéma n’existerait pas. Or, ce cinéma existe et s’il existe, c’est parce qu’il y a des raisons à cela. Moi, personnellement, je n’insisterais pas dans la réalisation de films indépendants, je pourrais tout à fait faire des films commerciaux. Mais qui sait, peut-être qu’un jour, je serais cuisinier.”
— Zhao Dayong

Bref, si Shadow Days manque un peu de rythme et se perd parfois dans son mélange des genres, le propos du film et la très grande violence d’une de ses scènes-clés — que l’on ne révèlera pas — en font un nouveau film fort sur l’histoire de la Chine communiste.

Remerciements à Li Yuwen (李郁文) pour la traduction.

 

 

En savoir plus :

  • Date de sortie France : Dissidenz Films
  • Distributeur France : 30/03/2013
Jean-Christophe Nurbel

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