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Les Clameurs de la Ronde Arthur Yasmine

Les Clameurs de la Ronde (2015) d’Arthur Yasmine

Dernière mise à jour : mars 30th, 2020 at 10:14 am

Les Clameurs de la Ronde Arthur YasmineArthur Yasmine est né à Paris au début des années 90. Refusant le conformisme de la poursuite obligatoire d’études et l’entrée dans une vie professionnelle tout aussi tracée, il se consacre à la Poésie : vocation solitaire, à rebours de tout ce que prônent nos contemporains. Il a publié Les Clameurs de la Ronde aux Carnet d’Art Éditions en mai 2015.
     

Synopsis :

Le recueil Les Clameurs de la Ronde s’ouvre sur un traditionnel « Avis au lecteur » qui témoigne de l’excellente culture littéraire du poète, placé d’emblée sous le patronage d’illustres aînés, depuis les poètes de l’Antiquité (citons notamment Catulle, Properce, Virgile, mais aussi les prophètes de l’Ancien Testament) jusqu’à Yves Bonnefoy et Vincent La Soudière. C’est une vaste, une immense confrérie qui est ici sollicitée, voire invoquée par le poète, qui n’a pas oublié qu’il est aussi vates, prophète : « Quel homme saura porter le Feu sacré ? »

   
« Invocation à la Jeune Morte »

ou la poésie défunte ?

 

Arthur Yasmine • Les Clameurs de la Ronde • Carnet d'Art éditions • Affiche n°06Arthur Yasmine fait résonner dans Les Clameurs de la Ronde les mots d’un autre monde, d’un « ciel prêt à s’ouvrir », contre la prose contemporaine, légère et inconséquente des magazines, ou bien celle, empesée, des dissertations et autres littératures universitaires.

Voilà qu’on parle de poésie, on bavarde sur elle, on en fait même l’éloge, alors qu’elle n’est plus qu’un genre désuet, voué à une vague survivance dans les salles de classe où des professeurs achèvent de la vider de son contenu et de sa puissance, stérilisée par l’intellectualisme.

Or, c’est bien l’éclair qui est l’image la plus vive de la poésie, cette « jeune morte » : « Se battre dans la ronde. Chercher à l’aimer pleinement. Nier tout dans le fracas des comètes. Dire oui par l’ouverture du ciel. Faire jaillir la parole comme un poignard. La faire briller comme un talisman. La mettre à l’épreuve de l’existence. Écrire à nouveau. Vivre encore. – Être poète. – Pour tout ça ».

Vertiges de l’amour

 

Aux « fragments dans la ronde », consacrés aux divinités Mercure et Séléné, succèdent les « disputes avec Zoé » et ses motifs circulaires : « spirales animales » et « toutes sortes de girations ». C’est la danse de l’amour, qui fait alterner poésie et prose, rapprochement et éloignement, dispute et réconciliation, tourments et éblouissements.

L’amour est au centre de Les Clameurs de la Ronde : c’est la correspondance entre E et F. Échange de lettres entre deux amoureux contemporains, qui « s’espèrent », évoquent un « plan location pour une maison à Voncq », seuls contre un monde hostile de « gros cons » à la morale rance : « La famille, les profs, les amis… ». Rêve d’un monde parfait et clos où « nous serons sous la bulle » ? Hélas, l’amour est mouvement, et rien ne dure. Les amoureux s’engueulent, ne se comprennent plus. « J’ai plus rien à te dire. » Et puis, bien sûr, « Reviens, on oubliera tout ça ! » Nihil novi sub sole.

Deux lettres restent sans réponse : a-t-elle jeté la clé ? En tout cas, c’est sur un lapidaire avis de procédure d’expulsion que cette correspondance s’achève. Puis, loin des amours humaines, forcément imparfaites, l’apaisement vient d’une invocation à Aphrodite, « belle endormie » née de l’écume.

Manifeste pour une poésie vivante

 

Arthur Yasmine Photo
© D.R.

Arthur Yasmine, poète maudit à nouveau en ce début de XXIe siècle, comme décidément incapable de trouver sa place dans cette société confite dans sa médiocrité auto-satisfaite, son coolisme artiste et petit-bourgeois dégueulé par tous les médias, semble rejoindre le cortège des « suicidés de la société » : Rimbaud, Baudelaire, mais aussi Antonin Artaud ou Van Gogh, peintre incompris, ou bien encore Nietzche, fustigeant la morale du troupeau.

Paradoxalement, ce suicide  social n’est que la figure inversée d’une exigence plus haute, absolue, une exigence de vie parmi les morts qui se croient encore vivants : « Happés par cette cadence / Pour l’extase on dansera ! »

Dans la continuité de la veine critique de Les Clameurs de la Ronde, Arthur Yasmine nous livre enfin un « Message aux éditeurs de poésie française », manifeste pour une poésie vivante. Touchant d’idéalisme et de ferveur confondus, le poète ne triche pas : apportant son manuscrit à un comité de lecture, il présente là « le sang d’un homme à la contemplation ardente et à l’urgence vitale : c’est le sang pur et brûlant d’un poète ».

Arthur Yasmine • Les Clameurs de la Ronde • Carnet d'Art éditions • Affiche n°21

Renvoyant à la ringardise les réflexions des pseudo-révolutionnaires soixante-huitards, le poète dénonce l’embourgeoisement du monde des lettres et l’ultra-confidentialité de la poésie, qui n’est plus destinée qu’à une élite restreinte. Contre cet embaumement, le poète préconise la pratique d’une « Poésie en avant » : « La Poésie doit donc chercher de nouveaux aspects, de nouveaux styles, de nouveaux risques, en se mettant face au péril de la vie, c’est-à-dire, tous les engouffrements et toutes les culminations. (…) Ici, au contraire : on veut gagner le pas et tendre une main ferme. »

Les Clameurs de la Ronde s’achève sur la mention « A reprendre depuis le début », en écho à tous les motifs circulaires : ronde, danse, vortex, spirales…

Oui, la poésie exige de nous, lecteurs, lenteur et patience. Maîtresse exigeante, elle ne se donne pas dès la première lecture. Il faut prendre encore l’ouvrage et laisser les mots tracer leur sillon, loin des « bouffonneries technologiques » et de ses facilités, du  Bien-Être et du Confort, divinités factices, ersatz de vie, qui dissimulent à grand-peine l’envers d’un monde parfait : citons pêle-mêle cynisme, brutalité, illettrisme, misère, « domination morbide de la Finance ».

Pourtant, pourtant… Enfants de ce siècle malheureux, ne devons-nous pas, comme Nietzche le préconisait, apprendre à « danser dans les chaînes » ?

 

En savoir plus :

  • Les Clameurs de la Ronde, Arthur Yasmine, Carnet d’Art Éditions, mai 2015, 92 pages, 9 €
  • http://www.arthuryasmine.com (site officiel de l’auteur)
Marie-Laure Surel

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