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Les Sans-espoir - affiche
© D.R.

Les Sans-espoir (1966) de Miklós Jancsó

Dernière mise à jour : novembre 18th, 2015 at 08:52 am

Les Sans-espoir - affiche
© D.R.
Une rétrospective des films du cinéaste hongrois Miklós Jancsó s’ouvrira le 28 octobre 2015 à la Cinémathèque Française avec, en avant-première, la projection de Les Sans-espoir (Szegénylegények) qui ressortira en salles le 11 novembre en version restaurée. Notre avis.
     

Synopsis :

Budapest, 1869. Une poignée d’insurgés, surnommés les « sans-espoir », tente de relancer les soulèvements de 1848 contre l’Empire austro-hongrois. Après une défaite écrasante, les prisonniers sont enfermés dans un fortin où ils se voient contraint de trahir leurs compagnons pour sauver leur peau.
       

Esthétique du cadre et vie des personnages
    

Les Sans-espoir - image
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Gros plan sur le visage d’un homme, l’expression tendue, la peau ridée, crasseuse, les traits fatigués. Il marche sous la pluie entre quatre hauts murs blancs. Puis, enfin, une porte s’ouvre. Il s’engouffre dans ce rectangle noir. À l’intérieur, un rai de lumière vient frapper quelques secondes son visage dont les perles d’eau scintillent dans un noir et blanc brillant et contrasté. Une autre porte s’ouvre. Nous apparaît alors, à perte de vue, des plaines désertes, pelées où la ligne parfaite de l’horizon coupe le blanc du ciel de la terre grise.

« A la fin des années 1960, Miklós Jancsó était le seul à inventer son propre langage. Tous les autres faisaient de la télé » confie Béla Tarr qui ne cache pas une influence du style de Jancsó dans ses premiers films (cf. article de Aurélien Ferenczi pour Télérama) .

L’image des Sans-espoir semble être pensée comme une étude picturale des lignes de fuite : l’horizon, les rangs de soldats, les murs du fortin, les cellules, la perspective fermée puis tout à coup ouverte. Le sentiment d’oppression et celui d’immensité.

Pour autant, ce cadre parfaitement maîtrisé ne semble pas contraindre les acteurs à ce même agencement rigoureux. Au contraire, ils donnent l’impression de jouer contre cette chorégraphie millimétrée. Tout se passe comme si ce cadre trop rigide n’attendait finalement qu’une cassure provoquée par les mouvements des comédiens.

Je pense en particulier à cette scène où un des prisonniers tente de rejoindre la ligne des femmes en noir, venues apporter des denrées à leurs fils et à leurs maris. Un coup de pistolet claque dans l’air pour le dissuader de fuir. En quelques secondes, cette rangée de femmes parallèle à l’horizon se disperse en courant de tous côtés comme une nuée de corbeaux. Cadre fixe, la ligne se délite de plus en plus et l’on observe ces points noirs éparpillés rejoindre l’horizon.

J’ai eu l’impression d’une mise en scène récurrente : le cadre est posé, strict, composé de manière géométrique, et puis l’on attend ce moment, le moment où un des personnages viendra enfin briser le champ qui le contraint jusqu’ici.
     

Les Sans-espoir - image
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Dans une terrible scène de torture de femme, le cadre est posé ainsi : en bas, une femme nue, forcée à courir au travers de lames d’épées ; en hauteur, sur le toit d’un bâtiment, les hommes contraints à regarder la scène. Champ/contre-champ, la femme est torturée, les hommes regardent. Ils ne peuvent rien faire, les deux plans sont comme irréconciliables. Il faudra attendre qu’un homme saute du toit et se tue pour rompre ce jeu atroce.

Comme si ce cadre totalitaire menaçait ses personnages qui finalement, ne peuvent l’enfreindre et le briser qu’au prix de leur vie (pour se sauver avant des tirs, pour faire cesser la torture). Ces élans de vie, surprenants, à contre-sens, en désaccord avec l’ordre apparent de la mise en scène, apportent un sentiment d’humanité et de liberté qui contrebalance une atmosphère générale souvent oppressante.
     

Un cinéaste hongrois

en quête de reconnaissance
    

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Miklós Jancsó, peu de personnes connaissent son nom. Certains l’assimilent à un cinéma historique désuet chantant la grandeur de la Hongrie paysanne, d’autres à des plans-séquences interminables. Mais pour d’autres encore, c’est un des plus grands cinéastes européens.

Pour Martin Scorsese par exemple, Jancsó est une référence majeure. En 2010, il déclarait à son propos dans une interview : « J’admire les films de Jancsó. En effet, je n’ai jamais vu avant autant de sensibilité et d’élégance dans les mouvements de caméra. Le propos politique est très fort. La fin des Sans-espoir est une des meilleures scènes finales de l’histoire du cinéma, je crois. »

De manière générale, on peut dire que Miklós Jancsó reste encore aujourd’hui, un an après sa mort, un cinéaste mal connu dont aucun de ses films n’a été diffusé entre 1990 et 2010 en Europe occidentale.
    

Rétrospectives à venir
   

Révélé à Cannes avec  en 1966 avec Les Sans-espoir, le cinéma de Miklós Jancsó ouvre une période que l’on peut considérer comme l’Âge d’or du cinéma hongrois. Par la suite, il remportera le prix de la mise en scène à Cannes pour Psaume rouge et le Lion d’or pour la carrière à la Mostra de Venise en 1990.

C’est donc avec curiosité et enthousiasme que l’on redécouvrira prochainement à la Cinémathèque Française la rétrospective de ses films. Elle débutera le 28 octobre 2015 et durera un mois avec la présentation de 20 longs-métrages. Le Festival Lumière ont également présenté ses films les 14 et le 15 octobre 2015 à Lyon.

Parallèlement à ces rétrospectives, les films Rouges et blancs, Sirocco d’hiver et Pour Électre ressortiront prochainement en copies restaurées.
   
    

     
En savoir plus :

  • Projection en avant-première de Les Sans-espoir à la Cinémathèque Française le 28 octobre 2015 à 20h
  • Date de sortie France de Les Sans-espoirs : 11/11/2015
  • Rétrospective complète de Miklós Jancsó à la Cinémathèque Française du 28 octobre au 30 novembre 2015
Jeanne TL

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