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Perfidia - couverture

♥ [CRITIQUE] “Perfidia” (2015) : L.A. épisode 1, une histoire parallèle

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 12:30 pm

Cinq ans après Underworld USA, James Ellroy fait son grand retour en France et entame avec Perfidia ce qu’il a nommé lui-même le « Second Quatuor de Los Angeles ». À travers la mise en scène de personnages réels et de fiction, dont certains sont déjà bien connus des lecteurs d’Ellroy, l’auteur américain fouille la mémoire collective de Los Angeles pendant la Seconde Guerre Mondiale, au lendemain de l’attaque de Pearl Harbor. C’est un coup de cœur pour Bulles de Culture !

Synopsis :

La base navale de Pearl Harbor est bombardée juste après l’assassinat, maquillé en suicide rituel, des quatre membres d’une famille japonaise, Les Watanabe, soupçonnés d’appartenir à la « cinquième colonne », une sorte d’ennemi de l’intérieur, invisible. Crime racial lié à l’entrée en guerre des États-Unis ? Que savaient au juste les Watanabe ? Deux flics mènent l’enquête : Dudley Smith et William Parker, assistés d’Hideo Ashida, l’ambigu criminologue d’origine japonaise.

Perfidia :
Comme un uppercut

Au menu de ce nouveau thriller : crimes, violences raciales et antisémitisme larvé, vie sexuelle débridée, alcool, drogue, corruption massive, le tout baigné dans une logique totalement amorale. C’est la guerre et il faut en profiter un max.

Dès les premières pages, la prose d’Ellroy, sèche et factuelle comme un rapport de police, impose son rythme – une vitesse d’enfer -. Tout semble se passer en direct – huit cents pages écrites au présent qui racontent le mois de décembre 1941.

On ne fait pas les présentations : au lecteur de s’immerger dans le décor : Los Angeles et ses flics, sa criminalité, Hollywood, ses stars et ses patrons de studio. Perfidia, c’est le nom d’une chanson – un tube de l’époque, un air entêtant -. Le récit, quant à lui, fonctionne de manière simple : il fait alterner les points de vue des personnages selon une chronologie très stricte.

Kay Lake, c’est lui, Ellroy, qui se met dans la peau d’une femme qui écrit son journal.

Sin city

 

James Ellroy - image
© Philippe Matsas

Le meurtre des Watanabe est l’aimant puissant qui permet à la vie des personnages de se déployer autour de ce qui les obsède. Chez les flics, Dudley Smith, complètement corrompu, tue sans état d’âme pour s’enrichir ou gratuitement – interprétation libre d’une fantaisie détraquée d’une star qui ne touche plus terre. Dans le camp du bien ou supposé tel, l’autre flic, William Parker, obsédé par la chasse aux Rouges, prie pour ne plus boire et gère comme il le peut ses crises de manque.

Autour d’eux gravite une galaxie de personnages de flics pas totalement mauvais, mais quand même prêts à s’aplatir ou à s’arranger quand l’intérêt ou les menaces s’en mêlent. Chantages, extorsions. Une  criminalité de marginaux et de psychopathes camés. Des puissants que rien n’effraie.

Quant à la population, dans un accès de fièvre patriotique, elle semble perdre le sommeil et les pédales. Black-out, soupçon généralisé, racisme endémique – toujours les mêmes mots : chinetoques, nègreville, JAPS… -, nazis made in USA qui stockent des armes, rafles de Japonais et enfermement systématique d’ennemis potentiels…

On ne fait pas dans la dentelle. On tape dans le tas, sous benzédrine ou whisky. Qui sait si tout ça ne pourrait pas rapporter un gros paquet de pognon  ?

« La guerre fait de la vie quotidienne
la vie in extremis »

Un des symptômes de l’atmosphère frénétique née de l’attaque japonaise est que le tout-venant se mélange à la haute société : « Les minables se mêlent aux magnats. La fine fleur fricote avec les faisans ». De nouvelles opportunités amoureuses et sexuelles deviennent soudain possibles.

Ça tombe plutôt bien : les personnages féminins de Perfidia sont ambigus, manipulateurs, et tout le monde est assez disponible sexuellement parlant. Avec un art consommé du name-dropping et un goût affirmé pour les ragots, Ellroy balance : le maire de la ville, les stars hollywoodiennes et le patron de la Columbia, Harry Cohn, qui s’envoient en l’air, pas toujours de façon très orthodoxe, pour ne pas dire carrément perverse.

Du côté de la fiction, Kay Lake, la jeune femme embauchée par Parker pour infiltrer les milieux de gauche, est intelligente et perspicace. Douée dans l’art de la dissimulation, elle ne rate pas une occasion d’exercer son pouvoir de séduction.

Dudley saute Bette Davis. Qui n’a pas rêvé de sauter Bette Davis ? Personne, semble dire Ellroy, au point qu’il invente une liaison qui laissera le personnage sur le carreau, foudroyé. D’ailleurs Dudley ne rêve-t-il pas qu’il saute Bette Davis ? Est-ce l’effet de la benzédrine qu’il prend avec la constance d’un médicament ou est-ce bien réel ? La star, « mi-déesse, mi-garce » fait parfois l’effet d’une apparition. Le boxeur, objet du désir féminin ou homosexuel, fait lui aussi figure d’inaccessible étoile, comme elle dédiée aux rêves.

Mais comme le prophétisait Gainsbourg : l’amour physique est sans issue. Il n’y a malheureusement rien dans Perfidia qui puisse sauver l’être humain de la chute, ni combler ses failles personnelles ou panser ses blessures ; on est immergé dans un purgatoire immense et poisseux, enfiévré par la guerre qui débute et l’abus d’alcool et de drogue. Il s’en faudrait de peu pour que tout ça ne bascule en enfer…

Une comédie humaine américaine

 

Il y a chez James Ellroy cette volonté de raconter, sur des périodes assez précises, une histoire parallèle des États-Unis, celle des mœurs, qui embrasse le vaste champ de l’illégalité. On retrouve  également des personnages d’un roman à l’autre, sans qu’ils aient nécessairement la même importance. Elizabeth Short apparaît dans Perfidia ; elle sera le Dahlia noir.

Sous des allures de polar venant de la culture populaire, Perfidia s’insère parfaitement dans le genre du roman historique, mêlant ses personnages fictifs à des personnages réels, présentés par la face sombre, pas franchement reluisante, où les faux-semblants sont inséparables de l’obsession sexuelle – un sexe un peu dingue, compulsif souvent.

Grand feuilletoniste à la manière d’Alexandre Dumas, James Ellroy fait ainsi naître chez son lecteur la sensation d’avoir passé pas mal de temps avec ses personnages, au travers de multiples péripéties, et l’envie de les retrouver bientôt, pour savoir ce qu’ils deviennent…

On conclura donc ainsi : vivement la suite à ce coup de cœur de Bulles de Culture !

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Marie-Laure Surel

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