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En tête à tête avec Orson - couverture

[CRITIQUE] “En tête à tête avec Orson” (2015), Conversations entre Henry Jaglom et Orson Welles

Dernière mise à jour : mars 25th, 2019 at 12:30 pm

Orson Welles, le célèbre réalisateur américain auteur d’un des plus grands films du XXe siècle, Citizen Kane, et Henry Jaglom, cinéaste plus jeune, ami, agent et confident de ce grand homme, se retrouvent régulièrement pour déjeuner dans le fameux restaurant Ma Maison à West Hollywood au début des années 80. Welles, peu avare de sa parole, y devise sur à peu près tout : nous sommes En tête en tête avec Orson

Synopsis :

Orson Welles, jeune prodige au succès fulgurant, est un auteur et réalisateur de films, scénariste, auteur de pièces de théâtres, acteur, grand séducteur marié avec Rita Hayworth, blacklisté pour ses supposées sympathies communistes ou son incapacité présumée à terminer un film. Il souffre d’une mauvaise réputation qui rend difficile la concrétisation de ses projets. Il est en quête d’argent pour son King Lear et malgré toutes les déclarations d’intention, rien ne se concrétise.

Conversations à bâtons rompus et name-dropping

Orson Welles, Henry Jaglom - image
© D.R.

Lors des repas entre Orson Welles et Henry Jaglom, les deux amis sont parfois interrompus par le serveur qui apporte les plats à table, une célébrité qui vient les saluer (Zsa Zsa Gabor ou Jack Lemmon) et les aboiements de Kiki, le caniche de Welles. Ces entretiens En tête à tête avec Orson sont retranscrits, apparemment sans coupure, ce qui préserve le naturel spontané de la conversation, qui saute parfois du coq à l’âne avec les commentaires du cinéaste sur le menu, les plats, sa santé, ses régimes, ses rhumatismes…

Adeptes du name-dropping, lecteurs friands d’anecdotes people sur le tout-Hollywood, des années 30 aux années 80, ou cinéphiles avertis : ce livre est pour vous !

Un Orson Welles qui dézingue à tout va !

En effet, tout y passe : les préjugés de Welles contre les Irlandais et ses préventions contre ce qu’on appellerait aujourd’hui le « politiquement correct », les ragots – qui a couché avec qui ? Lisez, vous apprendrez des choses ! -, les commentaires acerbes sur Chaplin, Laurence Olivier, Bogart ou Woody Allen, la carrière américaine d’Hitchcock, « Vanité et paresse », le « machin de Lelouch » qui obtint la Palme d’Or en 1966… Welles dézingue à tout va !

En tête en tête avec Orson est aussi un précieux témoignage sur le système des studios, notamment la MGM. On lira de nombreuses anecdotes de tournage, savoureuses et inédites, des portraits de Louis B. Mayer, de son protégé Irving Thalberg, disparu prématurément, de David O. Selznick, mais aussi des évocations du star system car l’écurie de la MGM comptait dans ses rangs miss Garbo, les Barrymore, Clark Gable et Jean Harlow.


L’âge d’or hollywoodien

C’est donc une vraie madeleine pour le cinéphile un brin nostalgique de l’âge d’or d’Hollywood, qui aura le plaisir délicat d’entendre à nouveau parler d’acteurs pas tout à fait oubliés, mais bon… Citons pêle-mêle : Norma Shearer, Carole Lombard, Irene Dunne, Myrna Loy, les sœurs de Havilland, Charles Laughton…

En tête à tête avec Orson vous racontera le tournage de Casablanca, film culte réalisé dans l’improvisation totale – au point que Bogart pensait que c’était « son pire film pendant qu’il le tournait » ! – puis comment Jo Cotten “botta le cul” de la célèbre commère d’Hollywood, Hedda Hopper, mais aussi la rencontre Garbo-Dietrich au cours de laquelle Marlene fut snobée sans ménagement par La Divine.

Il évoquera également ses admirations et ses vrais attachements : pour une femme, Rita Hayworth – qui disait d’elle-même : « Ils vont au lit avec Rita Hayworth et ils se réveillent près de Margarita Carmen Cansino » – et pour son ami de très longue date, Joseph Cotten.

Un Orson Welles drôle et truculent 

Enfin, outre quelques réflexions morales et considérations historiques intéressantes sur le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, En tête à tête avec Orson apporte son point de vue sur le métier d’acteur et l’art de la réalisation.

Tout cela est dit et raconté sans l’once d’une hésitation et sans précautions oratoires. Welles assène ses opinions comme autant de vérités joliment dites et fait mouche : les mots décapent et écornent un peu les légendes de papier glacé, sans artifices de studio, ni faux-semblants. Tout cela est jouissif, drôle, truculent.

Enfin, last but not least, je ne résiste pas à vous citer sa critique de la gauche dite « caviar » – souvenez-vous, c’était dans les années 80… – : « Lang, qui l’an dernier encore te recevait dans son bureau en bras de chemise, est maintenant habillé par Cardin. Et il a acheté un appartement place des Vosges, qui vaut aux alentours d’un million et demi. Le ministre de la Culture socialiste ! »

Un film posthume à venir

Welles, après tous ces échecs, conscient d’être devenu un “monument” dont la carrière semblait derrière lui, espérait comme Verdi produire dans ses dernières années « ses plus belles œuvres ». Hélas, Il mourut le 10 octobre 1985 d’une crise cardiaque, sa machine à écrire sur les genoux.

Il paraît que cette année 2015, un film posthume, tourné au début des années 70, devrait sortir sur les écrans : The Other Side of the Wind.

Welles aurait eu cent ans.

En savoir plus :

  • En tête à tête avec Orson, Conversations entre Henry Jaglom et Orson Welles, Éditions Robert Laffont, avril 2015, 368 pages, 21,50 €

Marie-Laure Surel

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